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Crédit photo : John Foley
Dans le village de Picardie où a grandi Eddy, les hommes travaillent à l’usine dès qu’ils sortent de l’école, les femmes sont caissières, ou mères à la maison. Souvent, elles ont leurs enfants jeunes, et se retrouvent vite confrontées à cette vie menée par leur mère, leurs tantes, leurs cousines, leurs voisines. Personne ne déroge du moule. Il n’y a pas d’étrangers, pas de «pédés». L’inconnu fait peur et personne n’aspire à autre chose que la vie de misère qu’ils ont toujours connue.
La famille Bellegueule n’a pas beaucoup d’argent, et envoie souvent les enfants à l’épicerie, dans l’espoir que la caissière aura pitié et acceptera de leur faire crédit. La situation s’empire quand le père se voit forcé d’arrêter de travailler, le dos trop abîmé par de nombreuses années de travail à l’usine.
Quand les activités des parents consistent généralement à regarder la télévision, en interdisant aux enfants de parler pour ne pas les déranger, ainsi qu’à descendre des bouteilles de pastis avec les voisins, et que celles des adolescents sont d’aller fumer à l’arrêt d’autobus ou de jouer au football avec les copains, pas étonnant qu’Eddy ne se sente pas à sa place. Entre son amour pour les chanteuses de variété, son intérêt pour les poupées ou même les quelques fois où il a essayé les vêtements de sa sœur, il est convaincu d’être une fille, dans un corps de garçon, ce que sa famille et les autres élèves de son école ne cessent de lui répéter.
Pendant des années, Eddy ne comprendra pas la raison pour laquelle il est «comme ça». Pourquoi sa voix est haut perchée? Pourquoi gesticule-t-il autant quand il parle? Il ne comprendra pas, et en aura honte. Les fois où deux élèves de son collège le prennent pour cible, il a peur, mais accepte. Il ne cherche pas à éviter les coups, par peur d’en recevoir des pires par la suite. Comme l’a déjà mentionné l’auteur, ce n’est pas tant Eddy qui avait honte de son milieu, puisqu’il ne connaissait rien d’autre, que cette société qui prônait la virilité et les valeurs masculines qui rejetait cet enfant aux tendances efféminées.
Ce n’est que l’école de théâtre, qui arrive à la toute fin du livre, qui lui offre une porte de sortie, une porte qui le mènera vers sa nouvelle vie. Celle où il est étudiant en philosophie à Paris, celle où à 21 ans à peine, on lui demande d’être directeur de collection aux Presses universitaires de France, où il a déjà d’ailleurs dirigé un ouvrage sur l’héritage de Pierre Bourdieu.
En finir avec Eddy Bellegueule est un roman intriguant, une histoire qui semble être de la pure fiction, mais à laquelle on croit sans aucun doute. Édouard Louis décrit avec une langue qui est maintenant la sienne une réalité dont il ne fait plus partie. Il ne tombe ni dans le sensationnalisme en exagérant la réalité, ni dans les figures de style pour l’altérer et ne s’auto-censure presque pas. C’est sans doute notamment grâce à cette précision et cette justesse de l’écriture qu’En finir avec Eddy Bellegueule s’est retrouvé dans tous les palmarès. Et c’est aussi probablement pour cette raison que les droits ont déjà été acquis pour une adaptation cinématographique, qu’un documentaire est en cours de production et que Le Seuil a déjà commandé à Édouard Louis un autre roman autobiographique.
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de la rédaction