CinémaCritiques de films
On ne peut définitivement pas sortir la Corée du Coréen, mais quand on lui offre plus de moyens, on le pousse certainement à se surpasser.
Qu’on ne se méprenne pas sur mes dires: Stoker n’est probablement pas le meilleur film du cinéaste à la feuille de route fort envieuse Park Chan-Wook, qui compte la trilogie de la vengeance (Sympathy for Mr. Vengeance, Oldboy et Lady Vengeance), et Thirst, notamment. Pourtant, côté mise en scène, rarement l’aura-t-on vu autant se faire plaisir et, du coup, nous satisfaire. Véritable symphonie des sens qui nous aborde de tous bords tous côtés, le long-métrage débute dès ses premières secondes avec un engrenage machiavélique de moments savoureux, comme une machine diabolique qu’on ne peut plus arrêter durant les 98 minutes que dure son processus.
India est en plein deuil à la mort subite de son père, laissée à elle-même face à une maison de plus en plus vide et difficilement habitée par sa mère inconsolable. Entourée d’une aura auréolée de nombreux mystères qui ne cessent de s’accumuler, tout s’embrouille et prend différentes tournures lorsque son oncle, dont elle n’a jamais entendu parler, vient border leur quotidien, la poussant plus près de la vérité et d’elle-même que jamais.
Certes, le scénario signé avec surprise par Wentworth Miller (l’interprète d’un des deux protagonistes de la télésérie Prison Break), n’est pas toujours au point et certains revirements ont bien l’attrait d’un cheveu sur la soupe. Par contre, sous la direction d’un réalisateur de renom, le tout prend une tournure inattendue. Hymne et pastiche d’antan aux influences hitchcockienne, qui vire rapidement vers quelque chose de typiquement tordu à la coréenne (attention, la violence y est souvent brutale, voire explicite), donnant autant dans le trash que dans le vicieusement sombre, on délire carrément dans le domaine créatif, et la mise en scène n’est rien d’autre qu’époustouflante.
Avec un montage d’une fluidité magistrale et d’un bruitage qui capte constamment notre attention en rehaussant les sons de la nature, des craquements et autre, on porte également une attention à la lumière, aux couleurs et, bien sûr, au cadrage qui s’assure toujours de choisir avec attention ce qu’il décide de nous montrer, de ne pas nous montrer et, plus sadiquement encore, de nous suggérer.
Du coup, le film est un assemblage de faire-semblant, d’illusions et de fausses conceptions. À la fois le portrait d’une famille dysfonctionnelle à son plus savoureux (oublier la famille Adams!) et coming-of-age féminin à son plus singulier, le film laisse se succéder une panoplie d’acteurs de renom qui virevoltent autour d’un charisme de glace que Mia Wasikowska semble nous dévoiler comme si c’était sa première fois. Entouré du pôle masculin et féminin habituel, tous deux attirés par le magnétisme sensuel de Matthew Goode et Nicole Kidman, on ne peut guère passer sous silence la présence momentanée des nombreux Jacki Weaver, Dermot Mulroney et Lucas Till. Une distribution de grande classe qui a un plaisir fou à débiter les savoureuses répliques dont le film nous laisse se délecter.
Avec ses airs très 70’s qui ne manquent pas de nous induire en erreur, on est vite ramené dans notre réalité avec téléphones cellulaires et baladeurs, qui ont plutôt l’attrait d’anachronismes face à une direction artistique des plus léchées. Mieux, la trame sonore composée par le surdoué Clint Mansell, qui compte également une pièce de Philip Glass, ajoute beaucoup à l’ambiance tantôt glauque, tantôt cyniquement invitante, sans oublier une chanson d’anthologie, «Summer Wine» par Nancy Sinatra et Lee Hazlewood, laquelle donne un aspect kitsch ironiquement bien accueilli.
Bref, on pourrait en dire beaucoup de Stoker au point de vouloir l’analyser encore et encore afin de le revoir durant un nombre indéfini de fois, mais rien au monde ne pourrait offrir meilleure satisfaction que de visionner un tel bijou. Reprenant le thème de la vengeance fidèle au cinéaste, tout en lui permettant d’aborder de nouveaux territoires, ce premier long-métrage américain pour Park Chan-Wook n’est rien d’autre qu’une jouissance en tout point. Abordant l’idée d’orgasme de plein front, il n’interrompt en rien le coït suggéré par le film en lui permettant autant une ascension qu’un accomplissement en s’immisçant en nous de la façon la plus totale. Sans vouloir trop s’avancer face à de telles sensations, Stoker a tout d’un grand film, voire d’une grande œuvre d’art.
Stoker prend l’affiche dès aujourd’hui avec notamment une version offerte avec sous-titres français au Cinéma du Parc.
Appréciation: ****½
Crédit photo: Fox Searchlight
Écrit par: Jim Chartrand