SortiesMode et beauté
Crédit photo : Ashley Graham (Instagram)
Depuis quelques années, on observe un changement dans certains secteurs de la mode; j’ai nommé la présence des rondes. En effet, après bien des oh! et des ah!, la shape plantureuse de l’actrice Christine Hendricks n’énerve maintenant plus personne et en parallèle, les mannequins taille plus font leur marque, leur visibilité augmente. Cette année, la semaine de la mode de New York aura vu défiler le mannequin Ashley Graham qui se définit elle-même comme activiste de l’image corporelle. Designer et tête d’affiche de la marque Addition Elle, les médias se sont attardés sur la présentation de sa collection de lingerie consacrée aux fortes tailles. Si cette visibilité correspond effectivement à une augmentation de l’offre dans le milieu du prêt-à-porter et du fast fashion, il s’agit d’un phénomène qui ne se répercute pas largement chez les grands designers. C’est là où la question du rapport entre le poids et la mode se complexifie.
Pour ma part, ma fascination pour la mode remonte à loin. Elle est née au même moment que ma découverte des arts visuels. Je me rappelle encore de mon obsession quasi pathologique pour une robe à l’allure «Belle Époque» que je n’avais pu porter que deux semaines – poussée de croissance oblige. Dans l’éphémérité de ma relation avec cette tenue overdressed, une passion pour la guenille s’est incrustée dans ma fibre. Or, cette rentrée scolaire avait incidemment sonné le glas de mon poids plume. Pendant l’année qui débutait, j’allais «ballouner» au point d’être mise au régime pour les vingt années qui allaient suivre.
Aujourd’hui, je suis toujours assez ronde pour ne rentrer dans rien de ce qui se fait en Italie, assez dodue pour que ça arrive qu’on me laisse la place pour femme enceinte dans le métro. Mais je ne fais plus gras, je ne mange pas maigre, ni light, ni diète et je dévore toujours les magazines de mode. Encore mieux, mes démêlés avec le pèse-personne n’altèrent plus le plaisir que j’ai à m’amuser avec les chiffons, à risquer avec superbe le sacrilège vestimentaire assumé. Je peux passer des minutes à me pâmer devant une robe jaune de Giambattista Valli, sans en avoir rien à foutre de la taille du mannequin qui est dedans. Pour moi, ce n’est plus un idéal à atteindre, mais simplement une source d’inspiration, une œuvre d’art au même titre qu’un Bansky ou un Rodin. Cela dit, j’ai la chance de ne pas être de ceux dont le poids menace (trop) la santé et c’est là que des distinctions s’établissent.
C’est d’ailleurs sous cet angle artistique que Karl Lagerfeld avait entrepris sa perte de poids drastique il y a 15 ans. Il voulait devenir «un cintre» en vue de se faire le mannequin de ses propres créations. Il ne s’agissait pas pour lui de se conformer à un standard esthétique. Artistiquement, c’est là où le corps maigre parvient à s’effacer sous le vêtement qu’il porte pour lui laisser l’avant-scène. Lagerfeld avait également évoqué un souci de santé et il est évident que cette problématique n’est jamais loin. Dans ce micro-évènement de la mode se trouve tout le nœud de la question du poids dans ce domaine.
Car la haute couture est à tort perçue comme un standard à imiter par les masses, alors que ça ne devrait pas être le cas. La maigreur des mannequins qui la porte n’est qu’un élément parmi tant d’autres, mais malheureusement l’un des plus proéminents et des plus commentés. C’est aussi la «parure» la plus accessible que l’on puisse voir dans les défilés. Impossible pour la plupart d’entre nous de porter des habits coûtant deux fois notre salaire mensuel. Perdre du poids, cependant, est plus accessible et moins dispendieux. Financièrement parlant, car sur le plan de la santé (physique et psychologique), cela peut s’avérer très dommageable.