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Crédit photo : David Mendoza Hélaine
Attention aux grimaces: on peut rester pogné∙e!
Arango, un jeune humoriste, doué en imitations, souffre d’une timidité maladive et d’une faible estime de lui-même lorsqu’il se trouve en dehors de la scène. Cependant, ce dernier possède des compétences uniques acquises au fil d’une longue carrière lui permettant de se tirer habilement de toute conversation en imitant divers personnages avec brio, ce qui compense en quelque sorte ses lacunes sociales.
Après avoir reçu une ovation pour son numéro d’imitation, il attire l’attention d’une collègue humoriste, nommée «la fille», mais hélas, le comique échoue à l’impressionner avec son imitation de Robert De Niro. Qu’à cela ne tienne, il réussit à se tirer indemne d’une conversation avec le propriétaire du bar, qui lui offre l’opportunité d’une performance en tête d’affiche.
Il accepte sa proposition en imitant à nouveau De Niro, puis s’enfuit rapidement par la ruelle arrière. S’il avait cru qu’une chute dans un conteneur à recyclage changerait sa vie à ce point!
À sa sortie du conteneur, tout le monde le confond avec Robert de Niro. Il est adoré et adulé par tous, sauf, bien entendu, par la fille qui était plus intéressée par lui que par ses imitations. Cette perte d’identité le mène droit dans une spirale où il doit faire un choix: est-il mieux de jouer des personnages avec lesquels on n’a aucune affinité pour s’assurer d’être apprécié par ses pairs, ou vaut-il mieux, au contraire, faire tomber ses masques, au risque de se faire rejeter par ses comparses?
Un spectacle fait sur mesure pour les mordus de septième art
Cette pièce de théâtre est faite sur mesure pour les cinéphiles. Pour celles et ceux qui ont grandi devant la télévision et les écrans, vous serez ravi∙es d’assister aux mille et une imitations de Juan Arango (celui qui est derrière l’écriture et la mise en scène de Donkey et Brefs entretiens avec des femmes exceptionnelles), de même qu’à tout l’univers cinématographique qui enrichit son histoire.
Et pour les autres, vous y trouverez votre compte tout de même, car ça reste fascinant de voir comment ces différents lieux communs du cinéma américain (le surjeu de Jim Carrey dans Ace Ventura, les gants de Freddy Krueger dans Nightmare on Elm Street, la scène de Taxi Driver où De Niro se dit à lui-même “You’re talking to me?“, etc.) sont toujours aussi ancrés dans l’imaginaire collectif.
Ainsi, dans ce spectacle, Juan Arango incarne le rôle principal avec brio, portant la pièce sur ses épaules, grâce à son énergie et à son jeu physique pour le moins impressionnants. Son numéro d’imitation, visiblement demandant physiquement, a captivé le public, jusqu’à susciter des inquiétudes lors d’une chute contrôlée si réaliste qu’on a craint pour sa sécurité!
La mise en scène de Christian Fortin, metteur en scène de la première itération de King Dave d’Alexandre Goyette, quand même!), fait montre d’une scénographie maximaliste qui donne l’impression, au départ du moins, d’être un peu disparate – un petit appartement côté jardin, une ruelle côté cour, et une scène d’un Comedie club sans nom à l’avant-scène.
D’ailleurs, cette dernière a été réfléchie par la même personne qui a fait la conception lumière du spectacle, soit Simon Rollin (conception d’éclairage de J’te pète en mixte). Ce choix fait en sorte que l’espace devient utilisé à sa pleine capacité en dirigeant l’œil du spectateur dans l’action de la scène.
L’inconvénient de vivre par procuration à travers un écran
Ce spectacle, ancré dans la culture cinématographique américaine à compter des années 1980, attire un public hétéroclite. Cependant, j’ai trouvé que la cinéphilie d’Arango est fortement marquée par une perspective masculine, étant principalement centrée sur des films «de gars» tels que Rocky, Terminator et Taxi Driver.
Or, les stéréotypes qu’on retrouve dans l’écriture des rôles féminins dans ces univers cinématographiques peuvent poser problème comme dans cette pièce, par exemple, où la fille est teintée du cliché de la Manic Pixie Dream Girl. Ce trope réduit les femmes à des figures superficielles, dépourvues de personnalité authentique, et qui servent uniquement à enrichir le développement des protagonistes masculins.
Dans le contexte de ce spectacle, la fille n’a pas d’identité propre et reste définie surtout par des caractéristiques mineures telles que son sens de l’humour et ses préférences en matière de boissons. Elle n’a même pas le luxe d’être représentée avec une actrice présente sur scène en chair et en os. Ses apparitions se font seulement par des vidéos qui sont diffusés sur une télévision. Son existence se résume ainsi à une fonction narrative qui souligne l’insuffisance des identités façonnées par le personnage de Juan.
Maintenant, je me permets une petite précision: Maureen Roberge (H+, L’ŒIL), qui interprète la fille, joue très bien son rôle. C’est dans l’écriture du personnage féminin que j’aurais aimé voir un peu plus de profondeur.
En dernier mot, la scène finale, où le jeune humoriste embrasse son authenticité en rejetant ses façades, déçoit légèrement. Bien que visant l’authenticité, elle paraît simpliste, compte tenu du parcours du personnage. Une conclusion plus sombre, menant même potentiellement vers la mort du personnage de Juan, aurait mieux reflété son cheminement à travers l’histoire.
En somme, c’est une belle découverte!
Ce qui fait la force de ce spectacle, ce sont ses nombreuses références cinématographiques, son énergie typique d’un stand-up comique, ainsi que la performance hallucinante de Juan Arango.
Histoire de terminer cette critique dans l’esprit des nombreux référents propres à la culture populaire, il me vient en tête une citation de Bo Burnham, humoriste et cinéaste derrière les spectacles Make Happy et Inside: “I know very little about anything. But what I do know is that if you can live without an audience, you should do it ”. En français: «Je n’en connais que très peu sur tout et rien. Mais ce que je sais, c’est que si vous pouvez vivre sans public, faites-le.»
La pièce «You’re talking to me?» en images
Par David Mendoza Hélaine
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