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Crédit photo : David Ospina
Dans un décor somme toute réaliste, à savoir un salon, des chaises et un escalier menant l’étage, Sonia rabroue son frère Vania parce qu’il a pris l’initiative de se faire un café. Pourtant, c’est elle qui est censée être responsable de cette routine matinale. Déçue par ce petit plaisir dont il l’a privée, elle envoie valser la tasse avec fracas…
Ça y est, le ton est donné: des envolées colériques, de la démesure et des répliques sarcastiques pour briser la monotonie d’un quotidien redondant! On a tout de suite l’impression de baigner dans une pièce de Tchekhov chez l’Oncle Vania et Sonia, tous deux retirés dans leur campagne profonde à contempler l’étang au loin.
À l’image d’un vieux couple aigri n’ayant jamais quitté le nid familial pour s’occuper de leurs défunts parents, Sonia et Vania, interprétés respectivement par Nathalie Mallette et Roger La Rue, en ont oublié leurs aspirations personnelles.
Et comme pour enfoncer le clou, voilà que leur sœur Macha, une riche actrice hollywoodienne accompagnée de son jeune Apollon, un dénommé Spike, vient troubler l’ordre établi en menaçant de vendre la maison.
Se vantant de son succès de manière outrancière, Macha rappelle du même coup, à sa fratrie, leurs vies insipides et dépourvues d’ambition.
Une distribution épique
Parmi celle-ci, on retrouve de grands noms, dont celui de Sylvie Léonard qui incarne ici une actrice pimbèche et désinvolte qui se vautre derrière les apparences du faste. Tel un trophée, elle expose à tout-venant son Spike, dont elle tente d’élever la carrière d’acteur, lui qui ne se fait pas prier pour se pavaner en caleçons et exhiber ses pectoraux.
Alex Bergeron, dans la peau de cet énergumène de Spike, offre un jeu très caricatural, campant avec brio un homme machiste dépourvu d’esprit. Toutefois, l’un des moments les plus désopilants, c’est certainement sa prestation lors d’une audition pour le rôle principal de la série The New Entourage.
C’est à la demande de Macha qu’il exécute cette audition afin de jouer dans la série librement inspirée de la carrière de l’acteur de Mark Wahlberg. L’histoire met donc en scène un acteur qui devient momentanément une star d’Hollywood.
Et c’est du bonbon! D’abord, parce que le personnage se la joue sans vergogne et avec un charme exacerbé. N’ayant personne pour lui donner la réplique, il marmonne des bribes de phrases tout simplement incongrues.
C’est de l’absurde à son meilleur, une histoire digne d’un cartoon de conte de fées où le prince charmant est risible et un peu niais.
Les étoiles du match
Sans l’ombre d’un doute, les étoiles du match sont remises à Nathalie Mallette et Roger La Rue! Leur jeu est d’un tel naturel, et leurs répliques sont truculentes. La scène où Sonia vole la vedette à sa soeur en personnifiant Maggie Smith lors d’un bal costumé est tordante, surtout en raison de son accent british, et en plus elle est resplendissante dans sa robe d’un vert émeraude.
Pour sa part, Roger La Rue offre un pétage de coche épique au sujet des technologies et des réseaux sociaux. En effet, il s’indigne contre nos cellulaires et voue un hommage bouleversant au passé. Il s’enflamme sur scène, fustige, vocifère et explose, littéralement! Un grand acteur, ce La Rue.
Joëlle Paré-Beaulieu, quant à elle, ne cède pas sa place non plus, bien qu’elle ait un rôle plus secondaire, celui de Cassandre, une femme de ménage qui prédit des oracles. En gros, c’est une illuminée qui vous sort des prophéties dignes de la mythologie grecque avec des incantations et du vaudou. Elle est tout simplement tordante!
Et Tchekhov là-dedans?
Anton Tchekhov est probablement le dramaturge dont l’œuvre est la plus jouée dans le monde et il est de surcroît une intarissable source d’inspiration pour les auteurs et metteurs en scène. Récipiendaire du Prix Tony de la meilleure pièce de théâtre sur Broadway, en 2013, pour Vania et Sonia et Macha et Spike, Christopher Durang lui rend hommage avec cette comédie caustique.
Les références directes à son oeuvre, ne serait-ce que les prénoms des personnages, ponctuent la pièce. La Nina de la pièce La Mouette, interprétée par Rebecca Vachon, débarque dans cette famille sous ses airs d’une jeune ingénue naïve et candide. Elle est littéralement pâmée sur Macha, car elle caresse elle-même le rêve de devenir actrice. Et Macha, elle, ne cesse d’évoquer son rêve déchu d’incarner un personnage dans la pièce Les trois soeurs de Tchekhov, alors que les films d’horreur ont fait sa renommée.
On saisit ainsi toute l’absurdité de la pièce à travers cette relation entre le tragique russe et le spectaculaire hollywoodien qui se côtoient ici de manière totalement hilarante.
Une pièce pour tous
Cela dit, nul besoin de connaître l’oeuvre de Tchekhov pour apprécier cette pièce. Vania et Sonia et Macha et Spike est à la fois une parodie, un hommage à l’auteur et une critique affable de l’ère virtuelle dans laquelle nous baignons tous. C’est un pur moment de bien-être orchestré par le comédien et metteur en scène Marc St-Martin, bien connu grâce à sa participation de longue date aux revues annuelles du Théâtre du Rideau Vert.
Sans temps mort, ce spectacle est un feu roulant de blagues auquel le metteur en scène ajoute ici et là des projections sur grand écran attendrissantes, notamment lorsque la pièce s’ouvre sur un montage photo des enfants (Sonia, Vania et Macha).
Alors, je vous en prie: ne restez pas sur vos idées préconçues du Rideau Vertet de son public du troisième âge, s’il vous plaît! Cette comédie pour tous est un pur délire à faire pleurer de rire.
La pièce «Vania et Sonia et Macha et Spike» en images
Par David Ospina
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de la rédaction