ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Jérémie Battaglia et Valérie Remise
Mani Soleymanlou est-il le nouveau Wajdi Mouawad? La question vient à l’esprit avant même qu’il entre en scène. Y répondant lui-même sur le ton de la blague dans le deuxième volet, il confirme ce que le premier volet avait déjà établi: non, il ne l’est pas. Mani n’est pas un enragé. Il ne cherche pas à recoller les morceaux des enfances brisées. Mani prend acte de la pièce manquante dans la construction du soi, dans la définition de l’homme qu’il est. Son vide identitaire. Né à Téhéran, découvre le monde à Paris, apprend à penser en Ontario, devient homme de théâtre au Québec. Sur le mode de la narration et du dialogue avec l’assistance, l’acteur-auteur-metteur en scène refait le parcours de sa démarche, explicite sa quête. Écrite et livrée sur un ton humoristique davantage que dramatique, sa réflexion apparaît d’une grande lucidité.
Après un premier volet en solo à la forme plus près de la performance, voire du conte, que du théâtre, arrive la partie où Mani pèse et sous-pèse ses idées sur l’identité individuelle et collective en les confrontant à celles de son ami Emmanuel Schwartz, dit Manu. Et le théâtre apparaît, pour notre plus grand bonheur. Pas uniquement parce qu’ils sont deux, mais parce que soudainement des personnages surgissent et qu’ils ont un problème à régler. Ne serait-ce que par cela, on est déjà passé à un autre niveau. Mais avec la grande qualité de jeu de Schwartz, on s’envole. Souple à tous points de vue, ce surdoué de la scène traverse avec précision les divers paliers discursifs comme il rend avec justesse et naturel toutes les intentions et tous les états qui se présentent.
Le malaise que Mani trouvera chez Manu n’est pas identitaire, mais existentiel. S’il y fait écho, le vide ressenti par son ami en est un de sens, pas de définition. Ébranlé dans ses certitudes, Mani convoque donc quarante autres artistes pour le troisième volet. L’écriture, tant verbale que scénique, qui jusqu’ici s’était tenue loin de la métaphore et de la symbolique, prend maintenant des tournures plus variées. Comme auteur, Soleymanlou a le talent de désamorcer ce qui s’engage dans la voie du prévisible. Comme metteur en scène, il a l’audace du silence et la rigueur de la direction chorale.
«Si je ne me reconnais pas dans l’Iran qui tue une jeune fille d’une balle en pleine poitrine pendant une manifestation, cela fait-il nécessairement de moi un Québécois?» Le partage de son cheminement vers la prise de conscience et l’acceptation de ce qu’il est a deux vertus. Tout d’abord, son histoire et celle de ses compères acteurs rappellent (si besoin était) que le multiculturalisme comme idéologie est une utopie, et comme politique, un échec. Ensuite, ce spectacle démontre que la réflexion sur l’identité peut encore être féconde artistiquement. Au fond, Soleymanlou prend un peu le relais de Mouawad en montrant qu’il n’y a pas de sujet dépassé, tout est dans la manière de faire. Dans son cas, la manière est authentique.
«Trois», écrite et mise en scène par Mani Soleymanlou, une création Orange noyée en collaboration avec le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et le Festival TransAmériques. Jusqu’au 17 octobre 2014.
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de la rédaction