ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Hugo B. Lefort
Tranche-Cul est une pièce qui n’a pas vraiment de commencement. Il n’y a pas de transition entre la réalité et celle de l’oeuvre parce que les deux mondes sont identiques. Au bout de ce qui ressemble plus à un passage de défilé de mode qu’à une scène, la présentatrice récite un texte à l’occasion de la journée internationale de la paix. Éparpillés un peu partout dans les estrades, les personnages lui couperont la parole pour le restant de la pièce pour mieux lui faire entendre leur propre vision des choses.
L’auteur touche à des thèmes récurrents dans ses monologues imposés. Tous proviennent d’un malentendu, vantent les vertus de l’eugénisme, de la perpétuation des meilleurs gènes et sont dégoulinants de démagogie. La tendance se maintient à travers les situations: plus l’être humain se reproduit, plus celui-ci perd son individualité pour finir par suivre le courant de la masse. Le voleur de porte-feuilles représente justement cette pensée magique où il est nécessaire de trouver réponse à toutes les injustices, logique ou non.
Évidemment, la pièce parle des effets pervers des médias sociaux, mais sans aucune allusion directe. Sur la scène théâtrale actuelle, on s’acharne à utiliser les textos ou les statuts Facebook pour redonner le goût du jour à des classiques, ou tout simplement pour s’assurer de suivre les tendances. Ici, nul besoin d’utiliser ces artifices pour que les spectateurs se sentent concernés. La promiscuité avec les acteurs et le tête-à-tête des estrades font tout le travail.
Tout au long des déclarations, le public est livré à sa propre nature: silencieux, prompt au rire nerveux pour évacuer l’anxiété du malaise ambiant. L’incertitude règne; on ne sait jamais à qui les propos s’adressent, on se sent toujours plus ou moins ciblés. «Est-ce que c’est moi, la fille complexée par son poids? L’artiste raté? La mère de famille désemparée? Le hippie naïf?» Les contextes changent, mais le résultat est le même. C’est l’effet du témoin: tout le monde assiste au lynchage sur la place publique, mais personne n’intervient.
Dans Tranche-Cul, le droit de parler ne vient pas avec la promesse que cette parole sera valide ou inoffensive. À l’image du script de la pièce, la frénésie des communications qui marque notre époque n’a pourtant jamais été aussi vide d’échanges. Les commentaires venimeux croisés sur Facebook sont transposés sur une scène de théâtre dans les déclarations de personnages d’une inquiétante familiarité.Le discours populaire est laissé à nu, déshabillé du bouclier confortant de l’écran d’ordinateur. Le résultat en est un désastre brillant.
Une production du Théâtre En Petites Coupures, la pièce «Tranche-Cul» , écrite et mise en scène par Jean-Philippe Baril Guérard est présentée à Espace Libre jusqu’au 20 décembre 2014.
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de la rédaction