«Tout ça m’assassine» de Dominic Champagne à la Cinquième Salle de la Place des Arts: le Québec en trois actes – Bible urbaine

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«Tout ça m’assassine» de Dominic Champagne à la Cinquième Salle de la Place des Arts: le Québec en trois actes

«Tout ça m’assassine» de Dominic Champagne à la Cinquième Salle de la Place des Arts: le Québec en trois actes

Publié le 8 octobre 2011 par Éric Dumais

C’est le 4 octobre qu’avait lieu la première de «Tout ça m’assassine», la nouvelle pièce du metteur en scène Dominic Champagne. Celui qui nous avait offert Le boss est mort d’Yvon Deschamps et Paradis perdu a ajouté une nouvelle corde à son arc en collaborant avec Pierre Lefebvre et le poète Patrice Desbiens. «Tout ça m’assassine», laquelle est structurée en trois actes, est présentée à la Cinquième salle de la Place des Arts jusqu’au 15 octobre.

«Tout ça m’assassine» est un bel exercice de style mélangeant théâtre, humour et économie, tout en nous permettant de voyager au cœur du Québec par l’entremise de longs monologues et d’échanges cocasses présentés en trois histoires complètement différentes : Confession d’un cassé (Pierre Lefebvre), La déroute (Dominic Champagne) et Les poèmes (Patrice Desbiens), le tout auréolé d’un fond politique bien palpable.

Une pièce dédiée à Stephen Harper et Jean Charest

De nos jours, les politiciens formulent tellement de belles promesses aux Québécois qu’il est nécessaire en tant qu’individu de lever les bras haut dans les airs et de se préparer à toute éventualité, au cas où. La richesse est devenue un mot d’ordre, l’économie a presque remplacé la politique, alors que cette dernière, surtout en période électorale, ne présente plus de fins mais des moyens, et il est à se demander, en 2011, si nos gouvernements actuels font réellement de la politique. Dans cet ordre d’idées, Pierre Lefebvre, dans un communiqué officiel, déplore les affirmations que le premier ministre Stephen Harper a prononcées lors de ses dernières élections : «Les Canadiens ne s’intéressent pas à ces affaires-là (en parlant du social, de la politique ou de la culture), ce qui les intéresse, c’est l’économie».

Triste réalité. Mais que voulez-vous, c’est ça, la politique. Et tout ça, ça nous assassine.

Le Québec en poésie

L’argent, le deuil et la dépression sont les principaux éléments se retrouvant au centre des destins tragiques et émouvants des quatre personnages qui racontent chacun à leur manière les faits marquants du Québec. Au départ, c’est le comédien Sylvain Marcel qui ouvre le bal, en se glissant dans la peau d’un poète défraîchi et désabusé par l’air du temps, lequel est attablé à une table, seul, en train de rédiger des poèmes à connotation politique. Derrière lui, deux musiciens sont présents sur scène et accompagnent en musique (guitare, gong, percussions, trompette, trombone) les moindres faits et gestes du personnage. Sans compter la performance narrative de Julie Castonguay, laquelle se tient droite derrière un micro, tel un piquet, et qui interagit à certains moments clés avec le comédien. Au centre, on retrouve un portrait de la reine d’Angleterre, derrière, un énorme gong, et un peu partout, gisent une dizaine de tables remplies de verres et de bouteilles de bière.

Le monologue de Sylvain Marcel est quelque peu complexe, ponctué ici et là de rimes et de prouesses linguistiques assez époustouflantes, mais c’est surtout l’allure déglinguée du personnage qui nous reste en tête. Malgré la belle performance de l’acteur, ainsi que la participation active de Julie Castonguay et des musiciens en arrière-plan, c’est surtout la suite de la pièce qui a marqué l’imaginaire des spectateurs qui étaient sur place.

«Au salaire minimum, j’ai toujours travaillé le minimum»

Un des moments clés de la soirée est celui où Alexis Martin fait son entrée sur scène, assis dans un La-Z-Boy roulant, une barbe hirsute lui recouvrant une bonne partie du visage. L’homme, vêtu modestement d’un t-shirt noir et d’un veston jauni par le temps, nous a raconté sa vision simpliste de la vie, de l’économie, de la vie sociale et politique. Pour lui, l’existence n’est pas une parade constante ni une exposition de l’âme.

Ainsi, l’homme nous confie, à l’aide d’un discours intellectuellement rafraîchissant, à quel point l’argent est un élément futile dans la vie et à quel point il est bien chez lui, dans son petit appartement, sans diplôme, mais un historique beurré épais de «jobines» payées au salaire minimum. La simplicité volontaire, pour ce Québécois malgré tout bien dans sa peau, n’est pas un mode de vie, mais un choix personnel. En effet, qui a dit que la richesse était une obligation dans la vie de tous bons Québécois? Les politiciens, certes; mais pour eux, ça ne compte pas, car, justement, il nous assassine.

Tout au long de son monologue, Alexis Martin nous charme par le son de sa voix, coquine et accusatrice, posée mais éclatée. Il nous sensibilise avec une pointe d’humour et d’ironie sur l’aspect matérialiste de la vie, ce qui n’a pas manqué de susciter une belle vague de rires de la part du public. Mais les gens dans la salle n’étaient pas encore préparés au grand blizzard qui approchait à grands pas.

«Ah! Je me souviens!»

C’est Antoine Bertrand et Mario St-Amand qui ont décidément été les étoiles montantes de la soirée. Leur duo, fort sympathique d’ailleurs, était magistralement bien assorti. Complètement aux antipodes l’un de l’autre, les comédiens incarnaient Charbonneau (Antoine Bertrand) et Robichaud (Mario St-Amand), deux hommes en déroute, qui marchent, tard le soir, le long de l’accotement de la 20, en direction des funérailles de René Lévesque.

Puis, pendant qu’ils marchent d’un pas las, ils se souviennent. Ils se rappellent, tantôt dans des élans de nostalgie, tantôt dans des excès de colère justifiés, le bon vieux temps, la belle époque; ils se souviennent des Sauvages; ils se souviennent aussi de la découverte du Québec par Christophe Colomb; ils se souviennent finalement, qu’à une certaine époque, le Québec se tenait droit comme un piquet; qu’il était sur la bonne voie avec René Lévesque aux commandes, afin d’enfin devenir un pays libre. «On y a cru qu’on allait devenir un pays!», s’exclame à un moment de la pièce Robichaud, interprété par un Mario St-Amand vêtu d’une simple tenue d’hôpital, les fesses à l’air, aux côtés d’un Antoine Bertrand richement vêtu et solide sur ses pattes.

La beauté de leurs discours, c’est qu’il est parsemé de drôleries, de vieux souvenirs, de nostalgie. Charbonneau et Robichaud, aussi différents de caractère soient-ils, nous rappellent chacun à leur façon les étapes importantes de l’histoire du Québec. L’alternance entre leurs échanges coule à flot, comme s’ils avaient sans cesse besoin de s’interrompre, de parler en même temps, de se marcher sur les pieds, de se contredire, juste pour le plaisir malsain de le faire. Antoine Bertrand, pour sa part, brille de mille feux comme à son habitude, dans le rôle de l’optimiste, qui a encore espoir en son pays, et qui n’a que pour seule consolation les soirées de coupes Stanley, alors que Mario St-Amand, lui, joue plutôt le grand désabusé de la vie, l’homme grincheux et grognon qui a perdu la foi en son pays, et qui n’a plus qu’une seule envie : se laisser dépérir et manger un bon «hot chicken», avec des patates et des petits pois.

Tout ça nous assassine

La pièce «Tout ça m’assassine» est en somme une excellent divertissement, informatif, intellectuel, comique et parfois absurde, qui présente par contre quelques longueurs pouvant alourdir le discours des personnages. Si les élans poétiques de Sylvain Marcel, au début de la pièce, nous restent un peu moins en tête, on retient néanmoins le monologue rigolo et juste d’Alexis Martin ainsi que la performance hors pair du duo Bertrand-St-Amand. «Tout ça m’assassine», une pièce à voir avant qu’ils nous assassinent!

Appréciation générale: ***½

Crédit photo: Yves Renaud

Écrit par: Éric Dumais

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