«Tout à vous de cœur» et «De quel rêve étrange je m’éveille?»: un romantisme sombre et exacerbé avec quelques moments lumineux – Bible urbaine

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«Tout à vous de cœur» et «De quel rêve étrange je m’éveille?»: un romantisme sombre et exacerbé avec quelques moments lumineux

«Tout à vous de cœur» et «De quel rêve étrange je m’éveille?»: un romantisme sombre et exacerbé avec quelques moments lumineux

Publié le 29 mars 2012 par Luba Markovskaia

Les créations Ozar présentent, jusqu’au 6 avril à la Cinquième Salle, un programme double dédié à l’œuvre d’Alfred de Musset, Tout à vous de cœur et De quel rêve étrange je m’éveille? La première est inspirée de la correspondance entre Musset et George Sand et la seconde est une rencontre entre le dramaturge et ses personnages. Une mise en scène signée Katia Gagné et mettant en vedette les comédiens Danny Gagné, Simon Claude, Mark Eden-Towle, Christine Poirier, Jacques Poulin-Denis, Audrey Rancourt-Lessard et Lucie Vigneault.

Lorsqu’on permet aux spectateurs de pénétrer dans la salle, on se retrouve devant une projection vidéo déjà lancée, où un comédien, cadré très serré dans un montage rapide, murmure des vers et des extraits de sa correspondance. Le spectateur a l’impression d’arriver dans un univers qui a commencé sans lui et qui peut exister parallèlement au brouhaha du public qui s’installe dans la salle. Le silence, lui, ne s’installera que lorsque ceux-ci le voudront bien, lorsqu’ils seront suffisamment captés par le texte pour ne plus pouvoir l’ignorer. Il s’agit d’une intéressante entrée en matière pour une première pièce qui mettra en scène une correspondance, une écriture de l’intimité que le lecteur parcourt toujours un peu en voyeur.

Les éléments du décor rappellent bien, également, les éléments propres à la correspondance. De grandes toiles blanches de papier froissé, qui serviront autant de toile pour le comédien que d’écran pour les projecteurs, illustrent bien les fictions de papier qui surgissent d’une correspondance amoureuse. Une sculpture féminine qui émerge d’un bloc d’albâtre est tournée vers ces toiles et évoque quelque peu la statue de Pygmalion, beau parallèle avec la femme à la fois réelle et fictive qui tourmente le poète dans leur correspondance.

Les effets sonores, un bruit de fond constant qui évoque les sons de la rue, reflètent le bruit du monde extérieur, dont le poète, ou l’épistolier, s’isole pour écrire, et pour creuser sa tourmente intérieure. Il est dommage toutefois que les voix des comédiens soient amplifiées, peut-être à cause de cette ambiance sonore, ce qui prive le spectateur du grain de voix proprement théâtral. Danny Gagné, le comédien qui incarne Alfred de Musset, se livre à un monologue intense, accompagné par un violoniste, dont la présence sur scène ajoute un dynamisme fort efficace et qui permet des effets sonores très réussis, comme les passages murmurés doublés d’un long accord de violon, qui évoquent des mots biffés.

Toutefois, les déplacements hautement chorégraphiés du personnage sur scène semblent tenter de compenser le fait que ce soit un monologue, de pallier à la crainte du statisme, dans une tentative presque désespérée de dynamisme scénique. Il en est de même pour les inflexions exagérées de sa voix et du halètement constant dans le micro. Le comédien se livre à des gestes souvent superflus et pathétiques, qui illustrent la tourmente, certes, mais qui ne servent pas tant à soutenir le texte qu’à garder à tout prix l’attention du spectateur.

Cette chorégraphie atteint son comble dans De quel rêve étrange je m’éveille?, où les très beaux dialogues entre les personnages de Musset sont entrecoupés par des éléments dansés dont ni les spectateurs ni même les comédiens ne semblent comprendre le sens profond. La preuve du superflu de cette tentative d’ajouter du mouvement se trouve certainement dans la performance efficace et dépouillée de Jacques Poulin-Denis dans son interprétation magistrale (en solo) d’un dialogue entre Octave et Cœlio, tiré de la pièce Les caprices de Marianne. Le comédien n’a recours à des gestes chorégraphiques que lorsque la mise en scène le commande, mais sa seule présence sur scène, sa seule voix commande l’attention du public, qui est accroché à ses lèvres sans avoir à être sans cesse terrassé par des gestes démesurés et excessifs.

La seconde pièce du programme double est en effet plus captivante que la première, en raison de la succession de personnages, et fera le bonheur des amoureux de l’œuvre théâtrale de Musset. Quant au monologue de Tout à vous de cœur, il plaira aux incurables romantiques qui souhaitent retrouver le XIXe siècle des passions excessives et vivre une sorte de catharsis par la tourmente qui s’empare du personnage.

Appréciation: ** ½

Crédit photo: Dave MacLeod

Écrit par: Luba Markovskaia

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