«Temps Universel +1» de Roland Schimmelpfennig au Théâtre La Chapelle – Bible urbaine

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«Temps Universel +1» de Roland Schimmelpfennig au Théâtre La Chapelle

«Temps Universel +1» de Roland Schimmelpfennig au Théâtre La Chapelle

Intoxicante solitude

Publié le 11 mai 2018 par Pierre-Alexandre Buisson

Crédit photo : Claire Renaud

La mémoire est une faculté qui oublie. Dans Temps Universel +1, le dramaturge allemand Roland Schimmelpfennig – dont les textes sont rarement joués de notre côté de l’Atlantique – s’intéresse à la mémoire et aux minuscules libertés qu’elle prend, en s’exprimant à travers un personnage interprété ici par Hynda Benabdallah.

Ce personnage, une femme enfermée dans son appartement, n’a pas mis les pieds dehors depuis un certain temps, «pas un seul millimètre», précise-t-elle. Possiblement intoxiquée, elle s’adresse à un homme absent, qu’elle croit parfois apercevoir dehors, quand elle regarde par la fenêtre en évoquant ses souvenirs. Elle fait bouillir de l’eau pour le café, «comme quand nous étions deux». Elle écoute un vieux disque, assise à sa table de cuisine, et énumère des anecdotes du quotidien.

Les apparences sont trompeuses dans ce monologue admirablement mis en images par le metteur en scène Julien Blais, qui a travaillé la conception et l’intégration de vidéos avec William Couture. La cuisine qui accueille l’action se transforme lentement, à mesure que le récit progresse, en accueillant des glitches tout d’abord à peine perceptibles, puis de plus en plus évidents. Des images de l’actrice sont projetées sur toutes les surfaces disponibles, certaines en direct, et d’autres en différé. Une narration surgit occasionnellement, ainsi que des phrases préenregistrées dans un dictaphone dont se saisit parfois la protagoniste.

La santé mentale de la monologuiste semble aussi se dégrader progressivement, alors qu’elle perd des objets qu’elle avait dans les mains quelques instants plus tôt, tente de tout mesurer, et essaie de reconstituer mentalement le chemin qui la mène d’un bar à chez elle. On comprend que la répétition qui comporte d’infimes variations devient ici un mécanisme, un phénomène à examiner, au sein d’un texte qui, tout en paraissant aléatoire, dissimule une précision mathématique.

Derrière une apparence brouillonne se cache une démarche rigoureuse. Peut-on se fier sur nos sens, sur les images qui apparaissent devant nos yeux, les mots que nous entendons? La mémoire de certains évènements est-elle toujours fidèle, ou se retrouve-t-elle influencée par le temps et les circonstances?

On se retrouve donc tout d’abord suspendus au bout des lèvres de Benabdallah, dont la détresse est palpable, et le discours un peu incohérent. Elle offre une performance haletante, personnifiant avec beaucoup de nuances une femme au bord du gouffre. Des thèmes se dessinent et des idées refont surface. Les formules ressurgissent, les mots sont répétés, les situations calquées. Après une cinquantaine de minutes, on se surprend à être investis d’un léger ennui, qui s’amplifie nettement à mesure que les anecdotes sont répétées jusqu’à la lassitude et que le temps passe. L’effet de nouveauté des vidéos s’estompe.

Lorsque la performance se termine, on se sent presque soulagé. À en croire les spasmes d’impatience et les soupirs de certains spectateurs qui nous entouraient, nous ne sommes pas seuls à croire que la démarche aurait été plus convaincante avec une trentaine de minutes en moins.

L'événement en photos

Par Claire Renaud

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