«Tartuffe», revisité par Denis Marleau, au Théâtre du Nouveau Monde – Bible urbaine

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«Tartuffe», revisité par Denis Marleau, au Théâtre du Nouveau Monde

«Tartuffe», revisité par Denis Marleau, au Théâtre du Nouveau Monde

Schwartz impressionne encore

Publié le 11 octobre 2016 par Benjamin Le Bonniec

Crédit photo : Yves Renaud

Il y a quelques années, le respecté Denis Marleau revisitait Les Femmes Savantes de Molière en transposant cette comédie de mœurs dans la société québécoise des années 1950. Cette année, toujours accompagné de Stéphanie Jasmin et sous l’égide d’UBU, le metteur en scène récidive dans ce que l’on peut désormais nommer son «cycle de Molière». Et c’est avec toute l’ingéniosité innovante qu’on lui connaît que Marleau transpose ce Tartuffe au cœur de 1969, année hautement emblématique à bien des égards; du Bed in for peace de Lennon au Reine-Élizabeth à l’hallucinant rendez-vous de Woodstock, des empreintes lunaires d’Armstrong aux bombes felquistes. Avec un Emmanuel Schwartz aussi électrisant qu’impressionnant dans le rôle de l’imposteur, la nouvelle production du TNM dynamise sa rentrée d’anniversaire.

Il y a 65 ans, dans un Québec en pleine ébullition culturelle, le Théâtre du Nouveau Monde voyait le jour grâce à une poignée d’hommes de théâtre autour des personnalités de Jean-Louis Roux et de Jean Gascon. Symbole de l’exorde québécois dans l’ère moderne, le TNM avait déjà plébiscité le génie de Molière pour son premier lever de rideau le 9 octobre 1951 avec L’Avare. Lorraine Pintal, la directrice artistique du TNM, poursuit la voie prise par l’institution de la rue Sainte-Catherine avec ce cinglant Tartuffe fustigeant l’hypocrisie religieuse.

Marleau l’audacieux

Complexe et audacieuse, cette satire de la dévotion au progressisme surprenant fait écho à ce Québec qui, en pleine Révolution tranquille, vit s’affronter le conformisme puritain d’une fraction de sa population et l’insoumission contestataire de sa jeunesse. Situant ce Tartuffe au cœur de cette époque libertaire, le choix de Marleau se révèle particulièrement habile tant le texte du frénétique dramaturge s’incruste sûrement dans le cadre.

Dans une ouverture musicale teintée d’un psychédélisme libérateur, Denis Marleau surprend une jeunesse en pleine bringue dans un décor d’appartement judicieusement signé Max-Otto Fauteux et inspiré de l’emblématique Habitat 67. D’entrée de jeu, le metteur en scène pose les premières marques du chamboulement temporel désiré et qui perdurera pendant plus de deux heures de comédie oscillant entre le drame et la farce.

Acoquiné autour d’Emmanuel Schwartz, campant l’imposteur Tartuffe, la distribution calibrée réunit entre autres un Benoît Brière exemplaire en Orgon, une Anne-Marie Cadieux très cocasse dans le rôle d’Elmire, ou encore un jeune premier Maxime Genois impeccable dans l’interprétation de Damis, le fils de la famille. Violette Chauveau incarne quant à elle remarquablement l’excentrique Dorine, la servante de la maison. À noter la présence d’une grande dame de théâtre qui était déjà de l’aventure dans la première production du TNM en 1951, Monique Miller, laquelle joue en effet une colérique et furieuse Madame Pernelle.

Si le panache et l’audace artistique de Marleau agissent efficacement sur le déplacement temporel, ce sont ces acteurs qui favorisent la transposition des vers en alexandrin de Molière dans ce contexte sixties. La formule choisie de ne pas adapter le texte original à celui-ci révèle au bout du compte un langage d’une vitalité éclatante, et la performance de Violette Chauveau en soubrette hallucine par l’appropriation convaincante qu’elle en fait.

Schwartz au sommet

Que dire de la performance de l’immense Emmanuel Schwartz? À 34 ans, l’acteur figure déjà parmi les plus grands comédiens contemporains québécois. Grand par la taille, avec cette stature auguste et magistrale, et cet immense talent, tant le jeune homme, dès lors qu’il pose un pied sur la scène, prend toute l’ampleur de celle-ci jusqu’à mettre le public à ses pieds. En incarnant Tartuffe, Schwartz lui donne une envergure ténébreuse, et sa voix sortie d’outre-tombe en surprendra plus d’un tant son éloquence est digne des plus grands.

Le personnage de Tartuffe fait son apparition dans l’acte III alors qu’une pagaille confuse règne déjà dans la maison. Pourtant, c’est avec son entrée que la pièce prend son véritable envol. Dynamisant le drame qui se trame, cet imposteur manipulateur se traduit comme la clé de voûte du canevas et son hypocrisie manifeste sert magnifiquement la morale de Molière. La complexité du personnage et de la pièce elle-même se dévoilent alors conjointement, et les coups estampillés à l’égard des hypocrites, faux dévots et tartuffes en tout genre, d’hier et d’aujourd’hui, n’en finiront plus d’être assenés.

Denis Marleau réalise ici un tour de force convaincant à la hauteur des ambitions avancées par l’intéressé tout en portant un regard réflectif sur l’histoire du Québec. Évidemment, nous ne nous retrouvons pas devant une mise en scène révolutionnaire, mais le metteur en scène se renouvelle, offrant dynamisme et vivacité sans nécessairement s’enticher à faire du modernisme. Ce Tartuffe post soixante-huitard rondement mené a l’immense mérite de divertir intelligemment tout en dépoussiérant fidèlement un classique du théâtre à la résonance bien actuelle.

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Par Yves Renaud

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