ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Pascale Gauthier-Dionne
Reçus par un gérant d’hôtel espiègle (Habib Dembélé), pris malgré eux dans la narration d’une histoire qui leur semble loufoque, Lina (Karine St-Arnaud) et Steve (Steve Laplante) s’apprivoiseront à une conception de l’espace-temps de prime abord insaisissable. Avec une autorité toute souriante et soutenue par le marionnettiste Yaya Coulibaly, le comédien Philippe Koné et le musicien Zakariae Heddouchi, Habib entraîne les deux Canadiens dans l’incroyable épopée de Soudiata Keïta.
Un continent, un autre univers
Soundiata Keïta est une figure légendaire de l’Afrique saharienne ayant vécu au 13e siècle. Le mythe de son enfance douloureuse, de son autoguérison de la paraplégie et, surtout, de son règne sur le Manden, l’Empire du Mali, qu’il a unifié après avoir échappé à des complots contre lui, est apparemment raconté et transmis de génération en génération. À cette même époque, Marco Polo voyageait en Orient, mais l’Occident n’était pas encore un concept et les Autochtones d’Amérique se battaient peut-être, mais certainement pas contre des Européens. Bref, chaque partie du monde menait ses luttes et ses guerres sur son pan de territoire.
À la différence des colonies européennes envahies par le christianisme, les Africains de l’Ouest n’ont pas renoncé à leurs croyances animistes lors de leur conversion à l’islamisme. Ainsi le personnage de Soundiata doit-il sa légende non seulement à ses exploits transmis oralement, mais également à la symbolique que revêt l’apport des animaux et des esprits dans le récit. C’est en partie cette cohabitation harmonieuse entre la raison, la foi religieuse et les mythes animistes qui désarçonne les Occidentaux parachutés dans ces pays, car leur grille d’analyse rigide permet peu de perméabilité entre ces diverses constituantes de l’expérience humaine.
Jouer à se raconter
La première qualité de ce spectacle est l’authenticité, dont le sceau est apposé par la présence de ces artistes africains de grand talent. La seconde est le texte d’Alexis Martin, qui parvient à nous intéresser à cette histoire sans exiger de nous l’effort de croire à la rencontre entre des humains et des marionnettes. Évitant le ton moralisateur au profit de l’humour, le texte joue sur une certaine distanciation, dans l’incarnation des personnages mythiques par des marionnettes comme dans l’interaction des acteurs allant jusqu’à briser la convention théâtrale de la représentation.
Pour nous ouvrir à une certaine «vérité symbolique», Alexis Martin a choisi la légèreté et l’autodérision, ce qui est plutôt intelligent. En contrepartie, le spectacle ne brise pas de tabous, ne provoque pas de grand bouleversement. La proximité entre acteurs et spectateurs accentue l’effet créé par la simplicité de la forme du conte. Toutefois, la conjonction de la mise en scène, des éléments de décor et des lieux physiques d’Espace Libre où il n’y a pas de scène surélevée prive parfois les spectateurs d’une bonne vue de ce qui se passe, certaines marionnettes étant petites. Techniquement, l’aire de jeu aurait avantage à être reculée de quelques pieds ou surélevée.
Dans l’ensemble, l’atmosphère qui se dégage de ce spectacle en est une de convivialité et de jeu amical, avec en filigrane le chant rayonnant et apaisant de Coulibaly.
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Par Pascale Gauthier-Dionne
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