ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Hugo B. Lefort et Laurena Mayifuila
C’est Laurence Dauphinais elle-même qui, telle une conférencière venue présenter la plus récente innovation technologique, a d’abord expliqué au public la nature du spectacle qu’il allait voir. Se basant sur ses propres angoisses – la création perpétuelle par l’humain d’éléments qui lui sont nocifs et qui le font courir à sa propre perte, et la crainte de mourir sans laisser de traces, puisque la majorité de ses souvenirs sont maintenant stockés dans des disques durs qui deviendront incompatibles avant longtemps avec la technologie qui ne cesse de progresser et dans des clouds intangibles et infinis –, la comédienne a décidé de tester les limites de cette technologie qui, soi-disant, se rapproche encore et toujours plus des capacités humaines; comme pour donner un avant-goût du futur qui nous attend, pour lequel nous avons mis la table.
Projetant en temps réel l’image de son iPhone sur un écran derrière elle et amplifiant le son de son téléphone intelligent, Laurence Dauphinais se lance donc devant nous dans une conversation tout ce qu’il y a de plus banal avec Siri. Le genre de dialogue qu’on aurait avec une amie, finalement; mais Siri est-elle son amie? Est-elle capable de comprendre sa détresse, ses bonheurs, ses peurs ou ses rêves? Une amie répondrait-elle plusieurs fois des platitudes comme «Désolée, je ne peux répondre à cette question» ou «Je ne suis pas certaine de comprendre votre question»?
Il est impossible de dire si la conversation entière entre la comédienne et la machine est improvisée devant public ou si certains passages sont prévus, bien qu’on remarque ici et là quelques sourires de la jeune femme aux réponses parfois loufoques de son interlocutrice, ce qui nous fait penser qu’il y a place à la surprise. Il lui faut donc user de stratégie et de finesse dans ses questions pour «guider» Siri vers la réponse souhaitée afin de faire progresser le spectacle, qui doit néanmoins avoir une ligne directrice dessinée.
Cependant, authentique ou préparé, cet échange est malgré tout des plus évocateurs: non seulement les logiciels qu’on utilise collectent d’importantes données nous concernant, nous rendant complètement vulnérables et sans secret aucun, mais aussi, il est clair qu’aucune machine ne remplacera jamais l’empathie ni la compréhension des nuances et des émotions. Laurence Dauphinais se livre à Siri comme peu de gens oseraient le faire devant public, allant jusqu’à laisser la machine révéler des informations personnelles et privées, et pourtant, elle ne reçoit absolument rien en retour, Siri préférant parler de son «maître» que de parler d’elle.
Ce n’est pas faute d’essayer de trouver une brèche, une opportunité pour arriver à trouver un peu d’humanité ou de sentiments chez Siri, mais Laurence Dauphinais et son collaborateur au texte et à la mise en scène Maxime Carbonneau n’auront réussi qu’à créer un spectacle comique, mais qui néanmoins tourne presque en rond, en raison de la matière première qui manque d’écoute et qui se révèle impénétrable, même si la mise en scène en tant que telle réussit, elle, à ne pas être redondante et à bien exploiter tout le potentiel du téléphone intelligent et de ses composantes.
Il faut tout de même voir Siri réciter des exercices de diction ou, surtout, faire du beatbox pour comprendre à quel point ce spectacle est aussi divertissant qu’il porte à la réflexion. Car derrière les bouffonneries de Siri et les références à 2001: L’Odyssée de l’espace, il y a bien des réflexions qui demeurent. Si on a à ce point mis le doigt dans l’engrenage qu’on en est rendu à utiliser les machines imprévisibles qu’on créé pour divertir, c’est qu’on n’en a pas encore assez peur. Sachant pertinemment qu’il est trop tard pour rebrousser chemin, mieux vaut peut-être en rire, finalement, tandis qu’on réussit encore à rassembler des foules pour partager des évènements.
La pièce «Siri» est une création de Maxime Carbonneau et de Laurence Dauphinais, et le logiciel Siri lui-même. Mis en scène par Maxime Carbonneau et produit par La Messe Basse, le spectacle est présenté au Théâtre Prospero jusqu’au 3 juin 2016 à l’occasion du Festival TransAmériques.
L'événement en photos
Par Hugo B. Lefort et Laurena Mayifuila
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