ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Pierre Castera
Le ton bon enfant de ce rendez-vous galant un peu trash tombe vite dans le malsain, alors que deux mâles rustiques se jaugent, se défient du regard, établissent un rapport physique à l’ancienne pour déterminer qui aura le droit de passer la nuit dans le lit de la belle, au corps sculpté «comme si elle avait déjà eu quatre enfants».
Cette relation abusive entre Karl et Marie a tous les ingrédients d’un immense désastre conjugal, qu’une étincelle pourrait faire exploser. On se retrouvera rapidement plongé dans les tréfonds d’un drame très intime lorsque Marie constatera qu’elle est, pour une cinquième fois, enceinte.
La détresse inconsciente des personnages est à la base de cette fable cruelle, adaptée et mise en scène par Olivier Arteau du Théâtre Kata. Il faut comprendre qu’au moment où Franz Xaver Kroetz a écrit cette pièce, en 1971, l’avortement était encore communément interdit dans plusieurs pays. Les courts chapitres détaillent de façon imaginative cette descente aux enfers pendant laquelle les acteurs sont repliés sur eux-mêmes, où le monde extérieur ne compte à peu près pas.
La salle intime du Théâtre Prospero est un endroit parfait pour exhiber ce récit; on y retrouve une pièce presque fermée, qui représente l’étouffante pièce dans laquelle vit le couple, et les acteurs disposent d’une caméra avec laquelle ils filment certains segments qui sont projetés sur les murs se trouvant face aux spectateurs. Des manipulations audio sont aussi utilisées pour dérouter, amplifier certaines phrases ou transformer en leitmotiv obsessif une phrase aussi sombre que prémonitoire: «Tu veux pas être papa?»
Une pièce qui, au final, utilise des outils contemporains de façon imaginative, pour montrer un peu métaphoriquement des actions qui seraient autrement insoutenables pour le public. On se demande au passage ce qui est pire; une représentation visuelle, ou ce qui se passe dans notre imagination? Trois êtres démunis, une domination masculine d’une autre époque, et encore une fois la femme qui est la victime ultime – un constat très amer qui nous laisse bouche bée.
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Par Pierre Castera
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