ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Yves Renaud
Bien sûr, Roméo et Juliette n’est pas une grande aventure épique comme l’était Les Trois Mousquetaires offerte l’été dernier, ni ne comporte de personnages aussi colorés et grandiloquents que dans Cyrano de Bergerac, l’été d’avant, qui avait aussi l’avantage de comporter de grandes scènes de bataille et plusieurs prétendants pour une belle, ce qui à la fois compliquait et dynamisait le récit! Il ne faut pas chercher à comparer les dernières co-productions du TNM et de Juste pour rire, puisque la simplicité relative des deux jeunes amants qui s’aiment clandestinement et que tout sépare pourtant, parce que leurs familles sont ennemies, manquerait instantanément de piquant.
D’abord et avant tout, Roméo et Juliette, c’est un drame, une tragédie; sans doute la plus grande qui existe dans la littérature. Et pourtant – serait-ce l’influence du producteur Juste pour rire? –, c’est dans la franche rigolade que se déroule une bonne partie du spectacle, alors que des personnages comme la Nourrice (Debbie Lynch-White, tantôt attendrissante, tantôt exubérante) et Samson (Guillaume Gauthier, efficace dans la comédie) sont placés dans des situations complètement exagérées, ce qui inévitablement, mène à un jeu gros. Presque comme un duo comique alors que la Nourrice va rencontrer Roméo (Philippe Thibault-Denis) le lendemain de sa rencontre avec Juliette (Marianne Fortier), les deux bouffons donnent presque dans la parodie tant ils se forcent pour faire rire.
Heureusement, la seconde partie de la pièce fût, c’était à prévoir, nettement plus dramatique, on pourrait même dire sérieuse, car moins dénaturée. Même la Nourrice s’y fait plus posée; le temps n’est plus à la rigolade alors que des enfants meurent inutilement. Malgré tout, les plus belles scènes se trouvent dans les premiers instants, alors que Roméo et Juliette se rencontrent et que les autres invités du bal se figent, à l’arrière, comme si le temps s’était suspendu; ou encore cette fameuse scène du balcon, revisitée avec une vision moderne, utilisant un grand pan de mur inclinable sur lequel de jolies projections de jardin se réfléchiront et que le jeune homme grimpera et escaladera pour arriver jusqu’à sa belle à maintes reprises, impressionnant et faisant rire le public en même temps.
Il n’y a aucun doute, les scènes où Roméo et Juliette se retrouvent sont les plus réussies, et se tiennent loin du jeu grossi; les deux interprètes sont d’ailleurs remarquables, et on salue la performance à la fois douce et déterminée de Marianne Fortier, pour qui il s’agit d’une première expérience sur la scène. Mais est-ce que ce fut les situations ou bien le texte en lui-même qui invitaient à l’exagération, même les meilleurs comédiens, comme Jean-François Casabonne (en Frère Laurent) ou Benoît McGinnis (en Mercutio) s’y frottent dangereusement à un moment ou à un autre dans la pièce, bien qu’on comprenne qu’il est bien voulu et assumé que le personnage de ce dernier soit plus coloré, grivois et bouffon.
Tybalt (grave Mikhaïl Ahooja), tout de noir vêtu, représente quant à lui le seul indice de la présence de la montée du fascisme dans le récit modernisé par Serge Denoncourt, qui, étonnamment, ne comprend que d’assez modestes confrontations, des petits duels sans grande envergure, du moins si l’on pense à l’importance de la rivalité historique qui oppose les Capulet aux Montaigu, et si l’on se fie aux chorégraphies de combats que Denoncourt est capable de créer. En effet, on aurait pu penser que la relecture du créateur serait plus politique, vu le choix de mise en scène de placer l’action dans l’Italie de 1937; peut-être même que le conflit entre les deux familles aurait pu prendre ses racines dans des opinions politiques. Pourtant, la nouvelle indication de temps n’apporte pas grand-chose d’autre au récit – dont la traduction française de Normand Chaurette conserve la majorité des éléments du texte original de Shakespeare – que des costumes différents, néanmoins remarquables de beauté.
Les habits lignés, les pulls sans manches, les teintes de beige, blanc et bleu, et même les bicyclettes vintage nous font effectivement bien sentir les années 1930 et les étés de farniente de la jeunesse italienne. On salue aussi l’initiative de Denoncourt de rendre hommage au regretté créateur de costumes François Barbeau, en réutilisant plusieurs de ses créations pour d’autres pièces dans la scène de bal chez les Capulet (Antoine Durand et Catherine Proulx-Lemay, tranchants), portées par cette nouvelle distribution qui comprend aussi Lévi Doré, Jean-François Pichette, Nathalie Breuer, Jean-Moïse Martin et Gabriel Lemire, notamment.
Au final, on ressent néanmoins le tout trop forcé dans la comédie, malgré que les portions dramatiques soient touchantes et bien rendues et que les comédiens soient habiles peu importe le registre. L’originalité qu’on a essayé d’insuffler à cette histoire ne lui a rien apporté réellement, sans non plus lui enlever de son classicisme, et on se demande si ce genre de pièce n’aurait pas mieux convenu à la saison régulière, où l’histoire d’amour tragique aurait pu vivre pleinement dans son drame, de façon classique bien assumée, en se tenant loin de l’influence de Juste pour rire dans sa lecture.
La pièce «Roméo et Juliette» de Shakespeare a été traduite par Normand Chaurette et mise en scène par Serge Denoncourt. Il s’agit d’une production de Juste pour rire, en collaboration avec le Théâtre du Nouveau Monde, où la pièce est présentée jusqu’au 18 août, avec trois supplémentaires déjà annoncées les 19 et 20 août.
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Par Yves Renaud
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