ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Suzanne O'Neill
Carl et Steven sont deux amis qui ont beaucoup en commun. Steven fréquente la sœur de Carl, et tous les deux sont des pères monoparentaux. Ils vivotent d’un boulot minable à l’autre, parfois trop fiers pour être employables. Ils ramassent des électroménagers mis au chemin dans la ville pour le compte de Mario Vaillancourt, propriétaire d’un centre d’achats décrépit au sens de l’éthique discutable, qui récupère toujours coûte que coûte, quelle que soit la méthode, l’argent qui lui est dû.
C’est avec une recette de poulet en mode mansplaining que commence ce récit aux tonalités toujours grinçantes, à mi-chemin entre l’humour noir et le rire jaune. Vaillancourt impressionne la sœur de Carl, qui est serveuse au restaurant de son centre d’achats, par sa stature et son standing, et elle entamera avec lui une relation. La mère de Steven, qui passe ses journées sur internet ou au téléphone, semble avoir un lien étrange avec le riche propriétaire des Galeries du Boulevard. Mario propose aux deux amis un plan tiré par les cheveux qui pourrait, s’ils jouent correctement leurs cartes, les tirer de leur embarras financier.
Il est assez difficile de ne pas être proprement horrifiés en voyant les évènements s’enligner impitoyablement vers la catastrophe; la tension est palpable alors que nos deux personnages s’enfoncent dans un tourbillon de plus en plus malsain de misère et de magouilles incestueuses.
Les dialogues sont durs, et l’audace est là; nos deux antihéros prennent des airs de Faust dans ce magistral pacte avec le diable du petit peuple, un homme d’affaires véreux qui ne recule devant rien, interprété avec aplomb par Denis Bernard.
Malgré le malaise ressenti devant les pirouettes de plus en plus désespérées des personnages, on ne peut qu’être admiratifs devant l’architecture de haute volée qui met en place les couches de malheurs. Dès qu’on croit avoir atteint le fond du baril, un nouveau double fond encore plus sale se révèle.
Avec comme seul artifice scénique des chaises et des changements d’ambiance en provenance des éclairages, la pièce est montée en quasi-polyphonie, les scènes s’enchaînant rapidement, certaines commençant alors que les personnages de la précédente sont encore sur leur départ. Cela amène un dynamisme sans pareil à l’ensemble, et les répliques sont déclamées sans réel répit, outre quelques segments musicaux assez courts signés par la formation Valaire.
Une pièce plutôt courte donc, qui est extrêmement bien tassée, et qui n’en est que plus percutante. On parvient presque à y sentir une odeur de friture, de désespoir et de cuir chevelu mal lavé, et la douleur fictive des personnages nous investit pernicieusement.
Voilà un pouvoir d’évocation rarement ressenti, qui ne semble être qu’un avant-goût de ce que les mots de Fabien Cloutier nous réservent dans ses prochaines œuvres.
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Par Suzanne O'Neill
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de la rédaction