ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Bruno Guérin
Né en marge du référendum écossais de 2014, ce projet a été réalisé en collaboration avec trois compagnies de théâtre: le Théâtre PÀP, Hôtel-Motel et le National Theatre of Scotland. D’abord présenté au Festival Fringe d’Édimbourg, c’est au tour du Théâtre de Quat’Sous d’accueillir ce projet bilingue sans crainte de perdre le fil grâce à des surtitres mis à la disposition des spectateurs.
Dans cette pièce, Isabelle Vincent incarne une mère habitée par la volonté de réunir sa famille éparpillée entre New York, l’Écosse et Toronto dans la maison familiale près de Mégantic pour parler d’un avenir politique incertain. Ainsi débarquent son frère (Harry Standjofski), son fils adoptif de souche québécoise (François Bernier), ses deux filles: l’aînée (Guillermina Kerwin) et la cadette milléniale altermondialiste (Charlotte Aubin), accompagnée de son copain écossais d’origine congolaise (Thierry Mabonga). Enfin, une vieille amie de longue date d’Écosse (Fletcher Mathers) se joindra à cette discussion pour le moins corrosive, passionnée et complètement disjoncté par moments.
Si le sujet politique peut sembler rebutant, l’humour aide à digérer l’énumération des multiples tentatives d’indépendance qui se sont soldées en échec, tant au Québec (1980, 1995) qu’en Écosse (2014). Dès le début, la table est mise avec Harry Standjofskisans, qui vient provoquer l’arrêt du «jeu», en interrompant Isabelle dans son élan poétique à propos d’un corbeau qui fend l’air, métaphore un peu douteuse et surtout incompréhensible. Harry suscite le rire du public, puisqu’il se paie la tête des Québécois francophones, les jugeant comme des individus qui se victimisent sans cesse.
Les personnages portent leurs propres noms, traçant une mince ligne entre la fiction et la réalité, entre leur propre opinion et celle du personnage. En quoi cette ambiguïté ajoute à la pièce? Voilà une question qui demeure irrésolue. Chacun des personnages traîne avec lui un passé.
Harry se remémore sa mère assistant impuissante et apeurée aux images diffusées à la télé de l’enlèvement du ministre Pierre Laporte par le FLQ. Thierry évoque son expérience d’immigration, du Congo à Glasgow. Guillermina partage ses origines mexicaines, les derniers moments passés avec sa grand-mère. Fort intéressant, mais il manque une trame narrative.
En somme, la mise en scène de Patrice Dubois peut facilement tomber dans la caricature. Les danses en ligne, les chansons à répondre brisant abruptement la montée dramatique, ou les chorégraphies répétitives, tout cela est un amalgame de scènes sans fluidité. Si la pièce voulait susciter la réflexion sur la question identitaire, nationale et territoriale, on retient un brouhaha de dates historiques.
On nous livre, au passage, un extrait de la déclaration des patriotes de 1839 pour évoquer les différences entre les diverses visions de l’indépendance à travers les époques. Tout le monde lit un passage d’un manifeste qui l’a marqué. L’un d’eux s’empare d’un micro comme s’il scandait un one man show. Puis on s’arrache le micro. Les propos dégénèrent dans une guerre d’opinions cinglantes. Même si cette famille représente la métaphore du pays, avec ses opinions divergentes et son projet de «vivre ensemble», je ne suis pas convaincue que la réflexion se répercute sur les spectateurs…
Est-ce que la discussion se poursuivra au-delà de la représentation? Une pièce somme toute divertissante, mais perplexe quant à sa mission.
«Première Neige / First Snow» en images
Par Bruno Guérin
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