ThéâtreCritiques de théâtre
Céline Bonnier, actrice exceptionnelle au Québec, signe avec Playtime une première pièce libre et dérangeante. Avec beaucoup d’éléments éclatés sur un même plancher, l’inconfort était de mise. On ne sait trop pourquoi certaines scènes nous accrochent et d’autres nous rebutent (par leur violence?) mais, chose certaine, les amateurs de vrai théâtre expérimental ne seront pas déçus, cris de jouissance inclus.
D’emblée, c’est dans un noir total que la metteure en scène nous plonge avec en arrière-plan le bruit machinal d’une basse assourdissante, qui nous rappelle que nous sommes sur le point d’atteindre le mur du son. Puis, surprise des plus réussies: la salle s’illumine, des portes s’ouvrent à l’arrière de la scène qui mène directement sur la rue Fullum. Une comédienne marche au loin vers nous, le doute s’installe.
C’est bel et bien l’extérieur du théâtre en temps réel; un vélo vient de passer. La comédienne fait une entrée des plus remarquées, qui nous plonge dans un monde alternant réalité et fiction. L’introduction de la pièce marque déjà le spectateur après 4 minutes. Malgré ça, l’inconfort étouffe et domine toute tentative de raisonnement. «Arrête de penser», semblent vouloir exprimer les comédiens, qui paraissent tous très prisonniers de leurs élans physiques. Pendant qu’un couple (Stéphane Crête et Clara Furey) épluche des agrumes comme des «masturbateurs» professionnels du fruit défendu, ça gicle de partout!
Il y a un rendu d’une brutalité désarmante dans «Playtime», et la remise en question est constante. Où sommes-nous situés au juste dans cette mer des possibles? Ces envies irrationnelles n’empêchent jamais les autres comédiens d’interagir afin d’accentuer à tour de rôle l’état dans lequel se retrouve l’acteur en délire du moment, et ce, dans un rythme parfois difficile à encaisser. Sans arrêt, et à tour de rôle, les comédiens miment des délires (psychologiques et physiques) frôlant la folie de l’extase, toujours en quête du coït ininterrompu, de la jouissance perpétuelle. Mais où se trouve la sensualité plus tendre dans tout ça? Derrière les trois murs encadrant la scène, tous devenus des écrans de saran wrap?
Au milieu de la scène, une gigantesque toupie, comme celles que l’on utilisait dans les parcs lorsque l’on était enfant, attire souvent notre attention.
Troublé, désorienté, c’est avec un énorme sentiment de perplexité que l’on sort de la pièce riche en crampes intestinales. À notre sortie, étourdis, on semble vouloir garder l’équilibre, chercher son centre, puis on admet que certains trucs nous ont plus perturbés (et réellement à part de ça), tandis que d’autres nous ont laissés plutôt indifférents (Paul-Patrick Charbonneau s’asphyxiant avec le saran wrap pendant de longues et pénibles minutes).
On a adoré, par exemple, Paul-Patrick Charbonneau en sous-vêtement qui enfile des talons, mais la violence aveugle de Clara Furey, face à son fruit défendu, était quelque peu effrayante.
En somme, il est assez difficile de mettre des mots sur la charge d’énergie vitale qui se dégageait de la pièce, puisque peu de dialogues ont été entendus et, qu’après tout, chacun est différent dans sa quête des plaisirs. Mais hier, à l’Espace Libre, les spectateurs semblent tous avoir été… flabbergastés.
Appréciation: ***
Crédit photo: Pierre-Luc Bernier
Écrit par: Olivier Boivin