ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Erick Labbé
Dans ce premier volet de la tétralogie Jeux de cartes, on assiste au chassé-croisé d’un éventail de personnages (joués par six comédiens) de passage à Las Vegas ou y travaillant. Un couple de Québécois totalement dépourvu de romantisme vient se marier devant un Elvis de toc. Un homme d’affaires britannique supposé maîtriser sa dépendance au jeu vient tenter de gagner ce qu’il faut pour rembourser ses dettes en même temps qu’il y retrouve sa maîtresse. Des femmes de chambres mexicaines clandestines font ce qu’elles peuvent pour survivre. Un cow-boy énigmatique s’immisce dans le chaos des autres. Et, juste à l’extérieur de la ville, dans le désert, de jeunes soldats s’entraînent à débusquer les terroristes irakiens sous les ordres d’un commandant féru de pouvoir par l’injure. Nous sommes en 2003 et George W. Bush déclare la guerre à l’Irak.
Pour les faire passer d’une bribe d’histoire à l’autre, le plateau circulaire pivote, s’ouvre en de multiples trappes, fait surgir des portes qui se rabattent pour se transformer en tables de jeu. L’espace central descend pour former une chambre ou un spa. Bref, toute une mécanique (qui devrait être bien huilée, mais qui a eu des ratés hier soir) au service d’une chorégraphie sur le thème de la désillusion. Ou peut-être est-ce l’inverse? Car, avec ce genre de spectacles, tout le débat est là. Qui est au service de qui, au juste? Sans parler de la mécanique, le récit est-il conçu pour être subordonné à l’esthétique?
On a beaucoup entendu que c’était une erreur de parler de théâtre à propos de Lepage et qu’il valait mieux aborder ses spectacles avec une perspective cinématographique. Succession d’images, ellipses, effets. Soit. Le problème, c’est qu’au cinéma ou au théâtre, les fils ne s’attachent pas d’eux-mêmes entre les divers flashs de situation. Quand on choisit de dire du texte, d’utiliser la parole, il faut l’assumer. Le texte sans poésie ni surprise ne laisse aucune chance à l’émotion de surgir et fait passer les acteurs pour de bien piètres interprètes, sans personnalité ni mission. Il faut dire à leur décharge que le choix de les faire dialoguer dans la langue qui doit être celle de leurs personnages, à savoir l’anglais ou l’espagnol la plupart du temps, oblige l’œil du spectateur à passer continuellement de la scène aux sous-titres, ce qui devient lassant à long terme.
L’émotion n’a pas besoin d’être dramatique ni larmoyante, on en convient très bien. Elle peut être liée à la réflexion, à la prise de conscience, à l’interprétation d’événements. Las Vegas, lieu de tous les excès, de toutes les hypocrisies, de toutes les perditions. Las Vegas, ville-lumière exacerbant les contrastes d’opulence et de détresse. En choisissant de montrer un versant plus ordinaire de la vie qui s’y déroule, la troupe cherchait sans doute à éviter les extrêmes maintes fois représentés. Elle a juste oublié qu’elle devrait quand même nous raconter une histoire. Histoire épique ou banalité, cinéma ou théâtre, la vérité, c’est qu’il n’y a plus de distinction qui soit pertinente quand on s’ennuie. Et on s’y ennuie ferme.
Pique, d’Ex Machina, mise en scène de Robert Lepage, est présenté à la TOHU jusqu’au 10 février.
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de la rédaction