«Nombreux seront nos ennemis» au Théâtre La Chapelle – Bible urbaine

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«Nombreux seront nos ennemis» au Théâtre La Chapelle

«Nombreux seront nos ennemis» au Théâtre La Chapelle

Ironie d’une hirondelle

Publié le 18 septembre 2014 par Valérie Lachaîne

Crédit photo : Yan Turcotte

C’est sous la direction d’Hanna Abd El Nour que les mots de Geneviève Desrosiers voient le jour au théâtre en première mondiale. Avec ses mots, qu’on connait si délicats et punchés, il va sans dire que les attentes étaient hautes au Théâtre La Chapelle lors du soir de la première. Ceux qui s'attendaient à un récit de poèmes en bonne et due forme seront déçus par le côté très expérimental du rendu.

Ouverture: Schwartz qui danse sur le rythme d’une musique et qui récite «Nous»…en anglais? Beaucoup de questions me viennent en tête: est-ce que la pièce entière est montée dans la langue de Shakespeare? Les réponses viennent rapidement: eh non! Ce n’était qu’une parenthèse de quelques minutes pour une raison qu’on ignore toujours.

Le décor est fait de papier mâché; un assemblage de matières variées qui ressemblent à des coraux. Des projections éclairent le mur du fond, passant d’images d’une marée basse à un champ de blé, ou d’un lac au sommet d’une montagne, ce qui crée à eux seuls une ambiance sereine. Malgré tout, quelque chose de tragique flotte dans l’atmosphère. En effet, la musique en parfaite harmonie avec les textes se fait assez noire par moments, et le violoncelle très présent y est certainement pour quelque chose.

«Je fais encore de l’insomnie», nous disent et répètent les comédiens. Cette phrase annonce chaque fois une transition, un saut vers un autre poème. Saut figuré autant que physique, ces derniers usent de grande force afin de maintenir certaines postures en déséquilibre, ou courir de long en large de la scène. À maintes reprises, ces exercices physiques viennent couper la pièce en segments. Moments où les comédiens reprennent leur souffle tout en le perdant. Moments aussi où on s’éloigne des poèmes pour tomber dans une forme d’interprétation axée sur l’expression du corps. 

Il y a quelque chose de très sombre dans l’interprétation. Pas que les textes de Desrosiers soient joyeux à la base, au contraire, mais la mise en scène semble avoir opté pour son côté monster truck. De très beaux enchaînements, certes, et d’autres très sordides qui frôlent la bipolarité. Tel est le cas lorsque deux comédiens se sortent la langue pendant un long laps de temps où l’on se croirait dans le film The Ring. Décevante, aussi, l’interprétation du poème «Bienvenue 2» où le sourire sadique de la comédienne nous empêche de ressentir les mots de Desrosiers.

Scène 2 Nombreux seront nos ennemis

De l’humour, il y en a également, comme lorsque les comédiens quittent tous la scène pour revenir se battre pour la lumière, ou encore lors du poème «Ça y est» où l’un des comédiens saute comme un lapin tout en le récitant. Chapeau spécial au comédien Dany Boudreault qui apporte une touche d’humour magnifiquement jouée!

Une mention «WOW» à deux scènes en particulier. L’une où tous les comédiens sont étendus sur le sol, comme morts, en pointant le doigt au ciel, comme s’ils voulaient désigner les étoiles. Et l’autre où ils rejoignent l’auditoire dans les estrades dans la pénombre, tout en continuant de réciter, afin de regarder une projection qui enchaîne le Mont-Albert, le ciel et les montagnes. Deux grands moments de beauté qui rendent grâce aux mots de Geneviève Desrosiers. 

L’intégralité de l’œuvre de Desrosiers y passe, jusque dans ses «Fragments», en nous rappelant l’écriture de Geneviève Desrosiers, pleine d’espoir («Car nous sommes tous des splendeurs») et de rage à la fois («On tuerait tout ce qui se tue. Même le steak haché. Même les chiots. Même les arbres.»). Les drames du quotidien («Il neige à l’intérieur de la voiture»), comme les révoltes («Mais qu’est-ce qui importe, tabarnak? Mis à part les enfants que l’on met au monde? Mis à part le monde que l’on transforme comme des enfants?»). La thématique de la révolution est certainement au cœur du projet. Une ode à la révolution où l’on blâme la «Génération sans fautes», et où nous «fourrons la mort» en acclamant les enfants et les gâteaux.

«Nombreux seront nos ennemis» est présentée au Théâtre La Chapelle jusqu’au samedi 20 septembre. Pour plus d’information, visitez le www.lachapelle.org.

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