«Nigamon / Tunai» d'Émilie Monnet et Waira Nina au FTA: à la recherche du lien sacré avec la Terre – Bible urbaine

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«Nigamon / Tunai» d’Émilie Monnet et Waira Nina au FTA: à la recherche du lien sacré avec la Terre

«Nigamon / Tunai» d’Émilie Monnet et Waira Nina au FTA: à la recherche du lien sacré avec la Terre

Résilience et espoir face à l'expansion croissante de l'extractivisme

Publié le 30 mai 2024 par Emilie Matthews

Crédit photo : Leonel Vasquez

J'ai récemment eu le plaisir d'assister à une représentation du spectacle «Nigamon / Tunai», un voyage artistique fascinant imaginé par Émilie Monnet, artiste multidisciplinaire autochtone d'origine anishinaabe, et Waira Nina, laquelle est originaire du peuple Inga d'Amazonie en Colombie. Cette performance immersive invite les spectateurs et spectatrices à découvrir leurs cultures et les défis auxquels sont confrontés les militants anti-extractivistes sur les territoires ancestraux de la nation Inga.

Une trentaine de spectateurs se sont rassemblés autour de moi dans le hall d’entrée de l’ESPACE GO le vendredi 24 mai dernier, la plupart discutant avec enthousiasme des performances vues récemment tout en sirotant du vin, avant de suivre les consignes des organisateurs pour enfin se diriger vers une grande salle faiblement éclairée.

Celle-ci, d’ailleurs, était abondamment ornée de plantes verdoyantes, d’arbres en pot et de flaques d’eau artificielles, nous donnant ainsi l’impression soudaine d’être au cœur d’une jungle urbaine.

Photo: Leonel Vasquez

 

Un voyage en Amazonie: une immersion totale dans la forêt

Alors que nous nous installions confortablement sur des coussins disposés au sol, des tabourets bas en bois ou, pour les plus chanceux, des sièges, Émilie Monnet et Waira Nina ont commencé à arpenter la pièce, allant de spectateur en spectateur, secouant un petit cerceau en cuivre rempli d’eau, laquelle produisait un doux bruissement au son de l’agitation.

Les deux actrices se sont alors approchées très près de certain∙es d’entre nous, secouant leur instrument à quelques centimètres des visages, nous plongeant instantanément dans l’univers immersif qu’elles s’apprêtaient à nous dévoiler…

Le son de l’eau, ainsi que les bruits de pas des deux femmes traversant les flaques artificielles, ou versant de l’eau d’un objet sculptural à un autre, créaient une atmosphère apaisante et paisible à la fois. Elles ont ensuite reproduit des sons d’oiseaux, ce qui a accentué l’illusion d’être totalement à l’extérieur de Montréal, quelque part au cœur de la forêt amazonienne.

Certains membres du public ont été invités à se lever et à poser leur main sur les arbres en pot, moi y compris. Une sensation de confort et de bien-être m’a instantanément envahi aux côtés de quelques lycéens en sortie de classe. Cette quiétude a toutefois été de courte durée: soudainement, le «ciel» (le plafond) s’est obscurci, et des vrombissement de tronçonneuses et de sourds grondements des troncs s’effondrant au sol ont troublé la quiétude…

Photo: Antoine Raymond

Les lamentations et les cris d’Émilie Monnet et de Waira Nina étaient véritablement poignants, nous donnant l’impression que les arbres ressentaient une douleur vive. Elles ont ensuite placé de petites pierres devant chaque arbre en pot «abattu» par les bruits des tronçonneuses, semblables à des pierres tombales, lesquelles symbolisaient la douleur et la souffrance causées par la déforestation en Amazonie et dans les forêts où résident les peuples autochtones.

Bien que profondément touchée, j’ai ressenti à ce moment précis du spectacle le besoin d’avoir plus de contexte afin de mieux comprendre l’importance des enjeux abordés. Et c’est à ce moment précis que des enregistrements de ceux qui subissent directement les conséquences de l’extraction minière, notamment la déforestation, ont commencé à être diffusés.

Nous avons entre autres entendu les témoignages d’un homme travaillant sur le chantier de construction d’une route traversant les territoires ancestraux Inga afin que les multinationales canadiennes puissent pleinement extraire du cuivre à partir de sources d’eau.

C’est là l’inspiration principale de la pièce: cette route restreindra l’accès à l’eau pour les habitants du peuple Inga de l’Amazonie colombienne duquel fait partie Waira Nina. De plus, elle privera la population du cuivre qui purifie naturellement l’eau qu’ils boivent et détruira l’environnement où poussent leurs plantes médicinales, et ce, au détriment du peuple de l’une des protagonistes.

Les ravages de l’extractivisme

Il est important de se rappeler que le cuivre est un composant clé dans la fabrication des technologies d’énergie renouvelable telles que les panneaux solaires, les éoliennes et les véhicules électriques. Ces avancées technologiques requièrent des quantités considérables de cuivre pour leurs systèmes électriques et de stockage d’énergie.

Effectivement, le cuivre est un matériau indispensable dans de nombreuses industries, notamment dans les secteurs des transports et de la fabrication d’équipements électroniques, entre autres. La demande croissante entraîne ainsi la multiplication des sites d’extraction à travers le monde. Ceux-ci entraînent une hausse de la consommation d’énergie et d’eau, c’est la raison pour laquelle ça devient une activité d’extraction polluante.

Photo: Leonel Vasquez

 

Ces témoignages ont, de plus, gagné en poids grâce à un extrait d’entrevue mettant en lumière les paroles d’une avocate et militante environnementale nommée Amanda. Cette dernière a affirmé d’une manière poignante que toute personne osant protester contre la construction de la route serait victime d’assassinat et de répression.

Son discours a captivé l’audience en posant une question cruciale: le confort des riches occidentaux qui se sentent bien en conduisant des voitures à énergie «propre» vaut-il le coût de l’extraction du cuivre sur des terres ancestrales appartenant aux peuples autochtones depuis des siècles? Cela revient à dévaster le lien culturel et spirituel d’un peuple avec sa terre, car pour ces peuples, «il est inconcevable d’extraire quelque chose sous la Terre. Vous ne déracineriez pas des choses du ventre de votre Mère».

Les peuples autochtones étaient parmi les premiers artisans de cuivre au monde. Pour de nombreuses communautés autochtones, ce dernier est vénéré comme un don sacré de la Terre. D’ailleurs, Émilie Monnet a partagé une légende anishinaabe qui lui tient particulièrement à cœur: lors de la navigation sur un lac, si la pagaie d’un bateau en venait à en prélever, cela était interprété comme un signe de puissance.

Les objets confectionnés à partir de cuivre revêtent une importance culturelle et spirituelle profonde pour de nombreuses communautés.

Ces extraits ont été suivis d’une performance de danse où Émilieet Waira, dansant et rampant sur le sol éclairé en bleu, évoquaient l’harmonie de deux poissons nageant dans l’eau. Tout à coup, ce moment paisible a été brusquement interrompu par une lumière rouge et le son de coups de feu qui avaient pour signification la violence et la douleur engendrées par l’extractivisme, qui perpétue la violence coloniale contre les peuples autochtones.

Puis, une explication sur l’importance de la tortue ou Yacumama, un animal sacré dans de nombreuses tribus autochtones, notamment dans les récits de création, a été partagée. Dans diverses histoires d’origine autochtones, ce symbole est censé soutenir et porter le monde. Émilie a établi des parallèles entre les similitudes des récits de création du monde parmi les peuples autochtones du Nord et du Sud, tels que son peuple Anishinaabe au Canada, et le peuple Inga en Amazonie colombienne.

La performance s’est conclue sur la voix adorable d’une petite fille racontant l’histoire de Yacumama et de son ami qui développe un mal de gorge. Yacumama souhaite aider son petit ami en lui fournissant des herbes médicinales, mais il n’en reste presque plus, car elles sont toutes épuisées, à l’instar du cuivre qui est extrait du sol.

Cela nous laisse sur une dernière note mêlant la voix pleine d’espoir de la prochaine génération avec l’observation indéniable des dégâts déjà causés…

Photo: Helena Valles

Des échanges enrichissants: questions-réponses en présence des artistes

Après des applaudissements retentissants, la portion questions-réponses de la soirée a débuté. Émilie Monnet et Waira Nina ont été interrogées sur l’importance de leur amitié et sur la façon dont celle-ci se reflétait à travers leur performance. Émilie a répondu avec conviction que l’amitié implique avant tout une écoute attentive, tout comme l’écoute de la nature reste cruciale. Selon elle, l’écoute est l’un des meilleurs moyens de communier avec notre environnement naturel.

Une des lycéennes en sortie de classe a quant à elle demandé: «Comment ne pas perdre espoir?» Ce qui a touché et fait taire tout le monde dans la salle. Waira Nina et Émilie Monnet ont entre autres répondu qu’elles entrevoyaient l’avenir comme un bourgeon de fleur prêt à éclore grâce à la voix puissante de la prochaine génération, qui doit écouter les enseignements des grands-mères et des grands-pères, et prendre soin de la Terre.

«L’espoir est une responsabilité!», a affirmé Émilie. En tant qu’artiste, elle considère qu’il est de son devoir d’utiliser son art et sa voix pour transmettre des messages importants.

Bien que je n’aie jamais assisté à une performance éclectique de ce genre, qui ne suit pas du tout les conventions du théâtre classique que je connais mieux, mes appréhensions initiales se sont dissipées. Assister à une performance où dialogues, bruits et interactions avec le public sont entremêlés, m’a transportée et épatée.

Les actrices ont su créer une expérience immersive qui m’a incité à approfondir ma réflexion sur les sources de produits issus de l’écoblanchiment qui influencent mes choix de consommation.

Après cette représentation, j’ai ressenti également un fort désir d’explorer davantage les légendes et les cultures autochtones, et de me sensibiliser aux enjeux politiques et environnementaux liés à l’extractivisme et aux conséquences culturelles désastreuses de l’exploitation minière.

Le spectacle «Nigamon / Tunai» en images

Par Antoine Raymond, Leonel Vasquez et Helena Valles

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    Photo: Antoine Raymond
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    Photo: Helena Valles
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    Photo: Leonel Vasquez

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