ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Yves Renaud
Lorsque Drusilla, la sœur de Caligula avec qui il entretenait une relation incestueuse, meurt après avoir vraisemblablement été empoisonnée, l’empereur est plongé dans un profond chagrin et remet en cause sa raison d’exister. La vie humaine n’aura dès lors pour lui plus aucune valeur, et il transformera sa peine en appétit sans fin pour la dépravation.
Cette luxueuse production, avec une scénographie scintillante, est un évènement majeur de la saison. La mise en scène de René Richard Cyr dresse un parallèle sans compromis entre le théâtre politique des sénateurs de Caligula et celui, moins antique mais tout aussi grotesque, des partis actuellement au pouvoir en Amérique du Nord.
La scène du banquet, bien connue des cinéphiles un peu tordus qui auraient visionné le film de Tinto Brass datant de 1979 – une production tellement scandaleuse que le scénariste Gore Vidal allait éventuellement la désavouer – vaut à elle seule le prix de l’admission. Plusieurs spectateurs ont d’ailleurs quitté la salle pendant ce moment rempli d’une tension aussi malsaine que fascinante.
Les dignitaires et sénateurs qui entourent l’empereur portent non pas des toges, mais des vestons griffés, et l’effet est saisissant.
La décadence a toujours meilleure saveur lorsqu’elle est vêtue dans un style irréprochable.
Après une entrée en scène mémorable, Benoît McGinnis (que notre collègue Alice Côté Dupuis a interviewé la semaine dernière) porte sur ses épaules presque tout le poids de la pièce; il est de pratiquement toutes les vignettes, à la fois ensanglanté, torse nu, costumé, cabotin, imposant, joueur, faisant preuve d’une cruauté imaginative et vigoureuse envers ses sujets et son entourage, devenant l’ange de la mort dont il rêve secrètement être la victime.
L’ivresse du pouvoir est ici exhibée dans toute sa laideur, soulevant des questions valides sur l’abus de l’autorité et les différents traitements réservés aux transgressions selon la classe sociale à laquelle appartient leur exécuteur. Le texte de Camus sonne admirablement bien, et les citations percutantes étourdissent par leur quantité et leur qualité. L’auteur avait un talent pour les mots qui rendrait jaloux n’importe quel aspirant dramaturge.
Présenter une adaptation contemporaine de ce texte était un beau risque, mais le pari est réussi au-delà de toute attente – on sort du TNM sonnés par tant d’énergie, par des mots forts et des idées brutes, qui nous hanteront longtemps par leur intensité.
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Par Yves Renaud
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