ThéâtreCritiques de théâtre
Présentée pour la 1re fois en 2010 au Bain Saint-Michel, Martine à la plage, pièce écrite et mise en scène par le jeune et talentueux dramaturge Simon Boulerice revient cette fois au Théâtre Denise-Pelletier à la demande générale. Expérience déjantée garantie.
Martine a 15 ans et comble de malheur, elle voit flou. Bonheur plutôt, car elle peut se rapprocher de son voisin, optométriste de métier et albinos de sa personne. Gilbert Martin vient d’emménager avec sa petite famille dans la maison d’à côté et l’adolescente déterminée fera tout, jusqu’à se ruiner la vue, pour se retrouver dans la clinique ou au bord de la piscine de Gilbert.
Avec ses lunettes magiques, Martine voit des fantômes et interroge ceux-ci avec son jeu de Ouija à propos de son vaporeux amour. Le drame survient alors que la famille Martin décide d’aller passer des vacances à Old Orchard. N’écoutant que son cœur, Martine remuera mer et monde pour les rejoindre. Mais aveugle au monde qui l’entoure et néophyte en amour, elle commettra l’improbable pour se tailler une place sur l’autoroute de la vie.
Simon Boulerice fait directement écho à la série d’albums «Martine», cette jeune fille espiègle que les créateurs belges Gilbert Delahaye et Marcel Marlier (d’où le nom du voisin : Gilbert Marcel) ont imaginé à partir des années 1950 et dont la plupart des petites filles se sont délectées avec plaisir. Nous avons droit ici à une version trash et déphasée au possible, en clair que du bonheur pour le spectateur.
Melon d’eau rétro
Sarah Berthiaume est Martine et sa prestation est époustouflante. Sa Martine est drôle, flagrante et emportée, c’est l’adolescente toujours au bord du gouffre et pleine de cette joie naïve des pucelles romantiques. Berthiaume avait déjà incarné Martine en 2010, et l’on sent que ce rôle lui colle à la peau.
En maillot et casques de bain de rétro tout au long de la pièce, Sarah Berthiaume (excellente femme-orchestre) danse, chante, incarne tous les personnages, voisins compris, s’adresse directement à la salle, s’interroge et fait la narration de la pièce en autant de voix différentes et de tons divers qui dynamisent les 90 minutes de ce monologue entrecoupé souvent de morceaux des années 1950 et 1960, dont The Carpenters et Dusty Springfield.
Le texte de cette pièce autant que sa mise en scène, tous deux signés Simon Boulerice, sont épatants et incroyablement vivants. Les surprises sont plus folles les unes que les autres et si plusieurs niveaux de langues et divers tableaux s’entrechoquent, comme autant de scènes et portraits qui évoquent, c’est une époque qui est magnifiée jusque dans ses plus petits détails. Tout est rétro : la musique, les costumes, les poses, les attitudes, les sentiments, même le melon d’eau dont se délecte Martine en gémissant sur son voisin transparent.
Si le texte est puissant, Boulerice utilise aussi d’autres manières de raconter, dont les diapositives, la musique on l’a dit, des acétates et un rétroprojecteur, bref les arts visuels ne sont jamais bien loin et battent le rythme de la pièce avec force couleurs et une certaine poésie aussi, dans un album de famille à la brillance assumée et au charme suranné, mais intemporel : celui d’une jeune femme engloutie par un amour trop grand pour elle qui est prête à tout pour se faire aimer en retour. Qui a dit que l’amour rendait aveugle?
Pour bien profiter de la finesse et de l’humour de l’écriture de Simon Boulerice, un petit détour par le roman illustré Martine à la plage paru en 2012 à La mèche est tout indiqué.
Martine à la plage de Simon Boulerice
Théâtre Denise-Pelletier
12 au 29 septembre
Appréciation: ****
Crédit photo: Chani Leroux photographe
Écrit par: Annabelle Moreau