ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Nicola-Frank Vachon
Pierre Guy Blanchard et Christian Essiambre se sont rencontré d’abord sur une patinoire de hockey, Essiambre dans les buts, Blanchard faisant entrer la rondelle dans ledit but avec une agilité impressionnante. Ils se sont retrouvés quelques années plus tard, toujours en confrontation, cette fois-ci à un niveau plus intellectuel, lors des rencontres entre les équipes de ligues d’improvisation de Dalhousie et de Campbelton, desquelles faisaient respectivement partie Blanchard et Essiambre. Du moins, c’est ce qu’on nous a raconté, sur la scène du Théâtre d’Aujourd’hui, dans Le long voyage de Pierre-Guy B. Et à voir la complicité qui unit les deux hommes, on n’a pas de mal à imaginer cette amitié de longue date qui nous est relatée à travers souvenirs et anecdotes tantôt joyeux, tantôt pénibles, mais toujours captivants.
Si Pierre-Guy B. semblait au début plus timide et réservé, voire moins à l’aise dans son coin, au fond de la scène presque caché derrière son attirail musical, on comprenait que Christian E. prenne d’abord les commandes du jeu plus théâtral. On ne s’attendait toutefois pas à une suite presque parfaite de Les trois exils de Christian E., qui s’attardait à l’évolution de la carrière de comédien d’Essiambre, en utilisant de surcroît le même procédé: une conversation téléphonique entrecoupée d’autres discussions laissant entrapercevoir ici et là des bribes et des éléments nous aidant à reconstituer l’histoire dans son ensemble. Contrairement à ce que le titre de cette seconde création indiquait – qu’on s’attarderait à la vie de Pierre-Guy B. –, on nous replongeait directement dans le parcours de Christian E., comme pour nous montrer qu’il avait bien cheminé et bien réussi, après tout.
Puis à un certain moment, Pierre-Guy B. s’est réveillé, aurait-on dit. Il a pris sa place dans «sa» pièce et a révélé un talent de comédien indéniable, tout aussi efficace que son collègue. Dès lors, malgré qu’on ait adoré Les trois exils de Christian E., on s’est mis à regretter qu’on n’ait pas accordé tout notre temps, depuis le début de la pièce, à l’histoire de Pierre-Guy, qui semblait tout aussi passionnante que lui est passionné de musique. Et même quand on comprend, qu’au final, les histoires de ces deux acolytes sont intimement liées et que leur amitié n’est finalement qu’un prétexte pour raconter la vie de Pierre-Guy B. grâce à différents souvenirs, on déplore malgré tout que Christian E. et sa vie aient pris autant de place au début du spectacle.
C’est que la vie de Pierre-Guy B. n’est pas banale: ne trouvant pas sa voie dans les boîtes dans lesquelles on voulait le placer et dans les règles imposées de la vie bien rangée, il s’exila en Europe et en Asie pendant sept ans; sept années durant lesquelles il vécut comme s’il n’y avait pas de lendemain, ses instruments de musique et ses bouteilles de Raki comme seuls amis fidèles. Et lorsque le principal intéressé se met véritablement à raconter ses récits de voyage et sa vie de bohème, Christian E. fait bien de se taire et d’écouter son ami, car cette portion de la pièce est nettement plus captivante que les dégâts de yogourts sur le siège de la BMW d’Essiambre, occasionnés par sa fille, ou encore sa réticence à se rendre à une séance d’autographes auprès des jeunes qui écoutent son émission jeunesse diffusée sur Yoopa!. D’autant plus que ses nombreux changements de personnages rendaient parfois certains pans d’histoires un peu plus confus, demandant un temps d’adaptation qu’on ne nous laissait pas, en raison du rythme effréné du récit.
Avouons-le, donc, la deuxième moitié de Le long voyage de Pierre-Guy B. vaut plus le coût que la première, qui débute très lentement. Cette nouvelle création de Soldevila et Essiambre possède l’avantage d’avoir deux interprètes sur scène plutôt qu’un seul: pourquoi, alors, avoir attendu si longtemps avant de les faire interagir? Heureusement, Pierre-Guy B. se révèle être aussi efficace en conte que derrière un xylophone, des claviers ou des tambours. La diversité et l’excellence de ses interventions musicales et sonores, tout au long de la pièce, ont elles aussi agrémenté la dynamique histoire. Mais le passé d’improvisateurs des deux comédiens se fait également sentir: une fois lancés, leur énergie est dans le plafond et leur talent de conteur, impressionnant. Il n’y a qu’à voir le récit d’une journée typique à Istanbul, dans une «improvisation solo, à la manière de Pierre-Guy B. et d’une durée de 5 minutes», pour être saisis, charmés et avoir envie de voyager à son tour.
Car c’est là la force de Le long voyage de Pierre-Guy B., autant que ce l’était avec Les trois exils de Christian E.: les interprètes nous font voyager avec eux, grâce à leur passion et leur amour du pays décrit; grâce aux détails authentiques et charmants de leurs histoires; grâce aussi à la poésie des images décrites. Qui dit vrai, qui dit faux dans ces aventures parfois rocambolesques, qu’on dit grandement biographiques, mais aussi teintées de fiction? C’est Pierre-Guy B. qui aura réussi l’exploit de nous donner envie de liberté et d’ainsi découvrir la vérité la plus significative. Son histoire en soit, son style de vie, malgré les apparences qui trompent Christian E. lorsqu’il retrouve son vieil ami, et sa vision de la société font de lui un grand sage. Dire la vérité, faire ce qu’on a envie de faire, ne pas rentrer dans le moule, vivre! Oui, au fond, c’est Pierre-Guy B. qui a sans doute le leitmotiv le plus brillant, et ça rend son voyage plus exaltant encore: «BREAK THE CHAINS, MAN!».
«Le long voyage de Pierre-Guy B.», d’après un texte de Philippe Soldevila, Christian Essiambre et Pierre Guy Blanchard, est présentée au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 6 février 2016.
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Par Nicola-Frank Vachon
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