ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Eugene Holtz
Au lendemain de l’incident, la coroner (Marilyn Perreault) recueille les témoignages des victimes Rachel (Annie Ranger), Tom (Hubert Lemire), Daniela (Nora Guerch), Henry (Hugues Sarra-Bournet) et Jimmy (Victor Andrès Trelles Turgeon). Devant l’enquêteuse qui se fond dans l’auditoire, ces derniers sortent peu à peu de l’anonymat du fait divers et des transports en commun à mesure que leur histoire se dévoile.
Outre les dialogues, Marilyn Perreault utilise avec brio le potentiel gymnique des poteaux et des sangles des autobus pour ses chorégraphies originales. La musique fait également partie intégrante du spectacle; soulignons l’interlude sublime au son de «Talk Show Host» par Radiohead qui rappelle à chacun nos rêveries amoureuses les plus folles.
D’autre part, la densité des monologues offre un sol fertile aux débats de société. Le port du voile, le profilage racial et la désinstitutionnalisation en santé mentale se retrouvent parmi tant d’autres enjeux abordés par la pièce. Il aurait été toutefois préférable de limiter cette profusion de thèmes, sans quoi le spectateur se retrouve confus devant un portrait autant éclectique. De plus, le fil conducteur se perd par moments à travers la vaste toile de morales élaborée par l’auteure. Mis à part ces égarements, on a droit à de brillantes analogies, dont le jeu de dominos qui vient interroger la tendance irrésistible de l’humain à s’auto-détruire et les lignes de bus qui se métamorphosent en véritables lignes de vie. Ces dernières sont tantôt parallèles, tantôt perpendiculaires où elles se croisent dans un fracas aussi explosif que le choc amoureux.
La pièce Ligne de bus se démarque particulièrement pour son inversion rafraîchissante des stéréotypes traditionnels de la scène québécoise. En effet, elle dénonce directement les conclusions hâtives engendrées entre autres par les réseaux sociaux sur les minorités ethniques. Ici, Jimmy, le seul Algérien musulman qui était à bord de l’autobus avec sa copine Daniela d’origine égyptienne est systématiquement montré du doigt. Évidemment, ce dernier est accusé à tort. Par contre, les épanchements pathétiques du personnage incompris de Jimmy l’ont rendu plus ennuyant qu’attachant.
D’ailleurs, c’est la jeune étudiante Sandy (Victoria Diamond), dont l’honnêteté candide fait chavirer des coeurs, qui vole la vedette. Reléguée aux oubliettes du fait divers après avoir connu également la mort dans un autobus, Sandy fait étrangement penser au fantôme Myrtle dans la série Harry Potter. Attentive, petit oiseau de l’innocence, elle est la seule qui détient la clé du mystère sans pour autant pouvoir la divulguer depuis sa tombe.
Somme toute, la prestation fait passer le spectateur par toute une gamme d’émotions en alternant entre le comique et le tragique avec fluidité. Ligne de bus, c’est avant tout une pièce hautement interactive où le public est plongé malgré lui au milieu de l’intrigue sous les regards accusateurs des défunts. À la toute fin, la dernière réplique de Sandy risque de hanter longtemps l’auditoire: «À quoi sert votre travail Madame la coroner, si tout le monde se fait sa propre justice?»
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de la rédaction