«L’homme éléphant» de Bernard Pomerance au Théâtre du Rideau Vert

Dès 1980, le cinéaste américain David Lynch adaptait la pièce de Bernard Pomerance, elle-même adaptée en 1977 des mémoires de Treves, pour en tirer un film arrache-cœur, tourné en noir et blanc, avec une performance renversante de John Hurt dans le rôle de Merrick, qui lui valut d’ailleurs le prix BAFTA du meilleur acteur.

La barre était donc assez haute pour transmettre autant de fragilité et de tragique, mais c’est un défi que relève avec brio Benoit McGinnis.

Avec une posture déformée, il parvient sans peine à éclipser le souvenir de John Hurt, qui avait lui-même besoin de maquillage prosthétique afin que l’illusion soit parfaite. Un miracle se produit, et nous ne voyons plus l’acteur; le personnage prend toute la place, l’esprit de Merrick le persécuté, si raffiné dans ses goûts, et délicat dans ses conversations.

Après un prologue où Merrick est sauvé des griffes de Ross (un Germain Houde délabré et rustre), qui le traite comme un animal et l’exploite sans vergogne, Treves (David Boutin) étudie Merrick et l’étrange mal qui l’afflige, le rendant difforme et nauséabond. Il prendra la décision de l’héberger à l’hôpital, et suite à la publication de la lettre d’un administrateur faisant appel à la générosité du public, les sommes recueillies assureront à Merrick un logis et du personnel jusqu’à la fin de ses jours.

En constatant que Merrick, au-delà de son apparence repoussante, possède une personnalité diablement attachante et une vision du monde très originale, les dirigeants de l’hôpital lui présentent des aristocrates et des gens de la haute société, qui deviennent rapidement ses amis. Pour se donner une bonne conscience, ou en toute sincérité? La question ne sera pas élucidée. Merrick vieillit et son état de santé se complique, plongeant Treves dans une humeur plutôt hargneuse.

Il faut saluer l’interprétation de David Boutin, qu’on a rarement vu aussi protecteur et nuancé, qui est en fait un peu à contre-emploi dans un rôle qui s’éloigne de celui des simplets qu’on lui confie habituellement. Les décors, qui reproduisent les combles derrière l’horloge qui orne la façade du célèbre Royal London Hospital, permettent de se plonger complètement dans le drame.

Il ne faut pas s’attendre à découvrir dans le récit une métaphore cachée, à moins de vouloir absolument y voir une réflexion sur les gens que l’on juge avant tout par leur apparence. C’est à une expérience théâtrale très traditionnelle que nous sommes conviés, mais l’exécution est admirable.

La mise en scène tout ce qu’il y a de plus classique de Jean Leclerc permet au spectateur de se concentrer sur l’essentiel: l’immense tragédie de John Merrick, qui sera mort sans avoir jamais goûté aux petites victoires de l’existence, comme être touché avec affection, ou flâner anonymement dans les rues d’une ville.