ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Martine Doyon
Un monde qui s’achève-Lola est présenté comme un essai théâtral inspiré du livre d’Anne Chapman Quand le Soleil voulait tuer la Lune, dans lequel elle raconte sa rencontre avec Lola Kiepja, en plus de réfléchir à l’intolérance et à la violence subies par les femmes autochtones.
Alors que l’on aurait pu s’attendre à ce que l’artiste Yves Sioui Durand pose un regard neuf sur l’histoire de ses ancêtres, la condition amérindienne est décrite dans ce spectacle avec les clichés qui lui sont malheureusement souvent associés. À titre d’exemple, le portrait très grossier que dresse Sioui Durand de cette problématique: les femmes sont présentées comme des victimes sans défense, alors que les hommes semblent se laisser guider par leur instinct animal et par des pulsions sexuelles incontrôlables. À force de vouloir ébranler et provoquer le spectateur, Sioui Durand le désensibilise. L’allusion et l’évocation auraient eu un effet plus puissant que la monstration.
À cet égard, l’utilisation que les créateurs font de la vidéo pour montrer la force de la nature ou des images d’archives montrant des autochtones de la communauté Selk’nams aujourd’hui disparue est très réussie. De même, le choix d’illustrer le désir d’émancipation et de libération des femmes par les tableaux Guernica de Picasso et La Liberté guidant le peuple de Delacroix est parmi les plus réussis. La compagnie Ondinnok a d’ailleurs l’habitude de présenter des spectacles très forts sur le plan visuel, faisant usage régulièrement de la vidéo, des médias et de l’interdisciplinarité.
Pour incarner certains personnages, le metteur en scène a choisi de faire appel à un duo de comédiens plutôt qu’à un seul acteur: alors qu’un des deux était masqué et incarnait physiquement le personnage, l’autre, debout sur le côté de la scène, lui prêtait sa voix. Sans être dépourvu d’intérêt, ce choix de mise en scène ne s’est pas avéré convaincant, tout comme l’utilisation de plusieurs comédiens pour donner vie à un même protagoniste, ce qui rendait la différenciation des personnages très difficiles.
De plus, la gestuelle des figures masquées était souvent décalée par rapport aux intonations des narrateurs, rendant la situation plutôt cocasse et banalisant le discours pourtant grave qui était évoqué. Les moments les plus réussis demeurent les tableaux dansés, surtout ceux qui impliquaient moins d’interprètes. Mentionnons notamment les deux solos de la danseuse Citlali Trevino sur les musiques de L’après-midi d’un faune de Debussy et du Sacre du printemps de Stravinsky.
La compagnie Ondinnok, fondée par Yves Sioui Durand, Catherine Joncas et John Blondin, fête ses trente ans d’existence cette année. Avec plus de vingt-cinq créations à son actif, elle est un acteur phare dans la promotion de l’art et de la culture autochtone au Québec. En abordant le sujet des disparitions et des meurtres des femmes autochtones, Un monde qui s’achève-Lola transgresse un tabou qui justifie à lui seul sa pertinence.
On ne peut que souhaiter que le propos soit mieux servi dans une mise en scène qui gagnerait à être repensée.
Un monde qui s’achève-Lola est une production de la compagnie Ondinnok écrite et mise en scène par Yves Sioui Durand. La pièce est présentée du 30 avril au 2 mai 2015 à la Maison de la Culture Frontenac.
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