L'ESPACE GO ouvre les portes de «La Ville» du metteur en scène Denis Marleau jusqu'au 22 février: cet espace où tout est possible – Bible urbaine

Théâtre

L’ESPACE GO ouvre les portes de «La Ville» du metteur en scène Denis Marleau jusqu’au 22 février: cet espace où tout est possible

L’ESPACE GO ouvre les portes de «La Ville» du metteur en scène Denis Marleau jusqu’au 22 février: cet espace où tout est possible

Publié le 30 janvier 2014 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Caroline Laberge

Le metteur en scène Denis Marleau a été frappé aussi durement par les mots du dramaturge Martin Crimp que les personnages de sa pièce La ville le sont par la réalité du quotidien, par le système capitaliste et par le regard des autres. Avec une Sophie Cadieux en fin de résidence de trois ans et en quête de conclusion à son périple à la recherche d’elle-même et un Alexis Martin habitué de travailler avec Marleau et sa compagnie de création UBU, ajoutant Évelyne Rompré pour compléter cette remarquable distribution, l’ESPACE GO frappe fort pour sa première pièce de 2014, présentée jusqu’au 22 février.

L’univers du couple Christopher (Alexis Martin) et Clair (Sophie Cadieux) bascule lorsque l’homme de la famille, le père, le pourvoyeur, perd son emploi à la suite de coupures de personnel. Il ne reste que le salaire de traductrice de Clair pour élever les enfants et payer cette maison au beau jardin extérieur, malgré qu’il soit en pleine ville. Mais là n’est pas le problème principal: comment Christopher réussira-t-il à se valoriser, à prouver qui il est, quel amoureux il peut être, s’il n’a plus son statut de travailleur?

Le relâchement du personnage d’Alexis Martin à la suite de la perte de son emploi, autant visible dans la posture de ce dernier que dans les costumes qu’il porte, amène à se questionner sur les impacts de l’instabilité du monde dans lequel nous vivons et sur l’importance du regard extérieur qui nous est porté. C’est d’ailleurs une étrangère, la voisine Jenny (Évelyne Rompré), qui va contribuer à troubler l’équilibre autant mental des personnages que relationnel du couple.

Dès le départ, on sent d’ailleurs Clair s’éloigner de Christopher, alors qu’elle lui raconte sa rencontre avec Mohammed, un écrivain «dont tout le monde parle. Enfin, pas tout le monde, mais…» et qui a perdu sa petite fille, qu’on a traînée. «On l’a traînée!? – Si, enfin, non, pas traînée, on l’a amenée» dans un taxi avec la belle-sœur de Mohammed pendant que celui-ci était entré dans une boutique pour acheter à sa fille un journal intime. «Et tu as cru à son histoire?» se questionne Christopher. Et le spectateur, lui, doit-il y croire?

C’est que Martin Crimp joue dans La Ville non seulement avec les mots, qui se veulent précis et empreints d’un certain humour, mais aussi avec la frontière entre le réel et la fiction. À mesure que les amoureux se racontent la banalité de leur quotidien et parlent de gens inconnus à l’autre interlocuteur, il y a lieu de se demander qui dit vrai, ou si quelqu’un dit faux, ou même si quoi que ce soit est véridique. Et le plus beau avec le texte de Crimp est qu’une part du mystère demeurera, puisque les indications qui permettent de déceler le niveau de réalité sont très subtiles. La ville que s’imagine le personnage de Clair en son for intérieur est vaste et complexe, autant que les histoires qui peuvent en ressortir.

Pour interpréter cette pièce lucide et intrigante, il va sans dire que le duo Cadieux-Martin était non seulement tout désigné, mais aussi relève le défi haut la main, tel qu’attendu. Pourtant, c’est Évelyne Rompré, en infirmière mystérieuse au ton ferme, en voisine légère et complice, qui tirera son épingle du jeu, avec un aplomb sans égal. Arrivant sur scène avec vigueur, elle impressionne en entamant son premier monologue sur les gens qui s’accrochent à la vie, presque hystérique.

C’est en effet presque une série de monologues qui forment La Ville, alors que chaque comédien a son moment de gloire, sa tirade qui lui permet de prouver toute l’étendue de son jeu, comme la saisissante anecdote d’Alexis Martin qui raconte ses retrouvailles avec Sam, un copain d’école. S’il s’agit d’une belle façon d’apprécier les qualités d’interprètes de Cadieux, Martin et Rompré, cela ajoute à la lourdeur de la mise en scène, qui plante les comédiens de façon plutôt statique, chacun sur leur plateforme. Tout cela fait en sorte qu’il faut faire preuve d’une grande réceptivité et d’une grande écoute pour apprécier la pièce et ne pas perdre l’intérêt ou le fil.

Outre ces détails et le vocabulaire parfois étonnant conservé à la traduction de Philippe Djian mais qui détonne franchement (entre autres un «fuck off» bien senti), La Ville est une pièce qui saisit et qui va bien au-delà du mystère et de la création d’univers, d’histoires pour magnifier son quotidien. On y est témoins de la perte de l’identité, ce qui cause une perte d’admiration et de désir dans le couple, ce qui causera sans doute sa perte.

Même si on ne sait trop ce qui est vrai ou faux dans ce récit haut en couleurs malgré sa banalité, une chose est certaine, c’est que n’importe qui peut s’y identifier. Et à partir de là, tout est possible…

La pièce «La Ville», mise en scène par Denis Marleau, assisté par Stéphanie Jasmin, est présentée du 28 janvier au 22 février 2014 à l’ESPACE GO.

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