ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Nicola-Frank Vachon
Attelez-vous, parce que durant l’heure vingt minutes que dure le spectacle Les trois exils de Christian E., vous ne pourrez plus quitter son unique interprète, Christian Essiambre, des yeux. Non seulement son charme magnétique vous subjuguera, mais ses nombreux accents et mimiques et ses encore plus nombreux mouvements vous empêcheront de penser ne serait-ce qu’une milliseconde à votre souper de demain ou au gros rapport que vous devez terminer d’ici la fin de la semaine. Avec ce spectacle autobiographique, quoiqu’à certains coins arrondis, vous vous embarquez sur une autoroute d’anecdotes savoureuses. Qu’elles soient drôles, qu’elles nous fassent nous remettre en question ou qu’elles soient réellement désolantes, elles ont toutes une qualité commune : elles sont livrées avec une grande sincérité.
Ce grand monologue coécrit par les complices Soldevila et Essiambre est performé sous forme de pièce de théâtre, mais il s’avère être le récit complet d’une vie. La vie d’un jeune comédien originaire de McKendrick, au Nouveau-Brunswick, qui, après avoir étudié le théâtre et connu un certain succès dans sa région, notamment en incarnant Tom Pouce au Pays de La Sagouine durant huit ans, décide de déménager à Montréal pour poursuivre son rêve. Un retour forcé dans son village acadien le place forcément en contact avec de nombreux fantômes du passé. De Viola Léger (La Sagouine) à sa mère, en passant par Tommy, son voisin sourd, et Daniel, Marc et Jeff, ses trois cousins qui, avec lui, sont nés de quatre sœurs dans un intervalle de sept jours, Christian E. interprète à tour de rôle chacun des personnages qui a marqué sa vie. Ses interprétations sont justes et variées, presque comme celles d’un imitateur, autant dans les manières de parler que de se comporter. Impressionnant, pour celui qui avoue avoir eu de la difficulté à se trouver des contrats à son arrivée dans la métropole.
Si la scène n’est meublée que d’une simple chaise de bois, Christian Essiambre meuble aisément et avec toute son énergie toute parcelle d’espace qui se trouve autour. Car en plus d’avoir écrit un récit avec soin et originalité, Philippe Soldevila signe une mise en scène dynamique, qui démontre toute l’ampleur du talent de mime, de danseur et d’acrobate de son interprète. Jouant avec la chaise pour tour à tour se bercer, se jucher, être en voiture ou même se battre avec un cousin, Christian E. impressionne par sa capacité à passer d’une situation à une autre en un clin d’œil. Mais pour le suivre, il faut être aussi alerte que lui, car dans leur écriture, Soldevila et Essiambre ont décidé de mélanger les rencontres avec la professeure de diction, ses discussions avec sa copine étudiante en médecine, ses parties de jeu vidéo, et plusieurs souvenirs, et d’ensuite passer de l’un à l’autre sans crier gare. Cela peut parfois être confondant, mais ça accentue l’effet de surprise et démontre l’ampleur du travail.
Attention, ce voyage n’est pas que plaisant seulement grâce à la personne qui nous y amène, mais également pour les endroits qu’on y découvre. La Grand-Anse, où «sur le bord de la côte, plein de petits sapins peignés juste d’un bord, à cause du vent de la mer» et la rive grugée de petites baies, «comme si la mer avait pris plein de petites bouchées», dont nous parle Christian E., font rêver. Les trois exils de Christian E. constitue presque une publicité touristique pour l’Acadie, sans pourtant que cela sonne faux. C’est plutôt qu’on sent le comédien fier et sincèrement attaché à sa région natale. Celle qui l’a vu grandir, qui l’a vu «faire le clown», qui lui a donné de belles années avec ses cousins et avec sa famille. Celle qu’il n’oubliera jamais, même s’il connait le succès ailleurs, maintenant.
Les trois exils de Christian E., de Philippe Soldevila et Christian Essiambre, est une coproduction du Théâtre Sortie de Secours et du Théâtre de l’Escaouette, en codiffusion avec le Théâtre d’Aujourd’hui, où elle est présentée jusqu’au 2 février 2013.
http://www.youtube.com/watch?v=O-s_QT8dOMUL'avis
de la rédaction