«Les liaisons dangereuses», mise en scène par Serge Denoncourt, au Théâtre Jean-Duceppe – Bible urbaine

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«Les liaisons dangereuses», mise en scène par Serge Denoncourt, au Théâtre Jean-Duceppe

«Les liaisons dangereuses», mise en scène par Serge Denoncourt, au Théâtre Jean-Duceppe

Un jeu où personne ne gagne

Publié le 12 avril 2014 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : François Brunelle

Grande saison de théâtre pour Julie Le Breton qui, après avoir incarné l’impitoyable Marie Tudor au Théâtre Denise-Pelletier au début de l’année, replonge dans la manipulation, la vengeance et la perfidie au Théâtre Jean-Duceppe grâce à Les liaisons dangereuses, une pièce du Britannique Christopher Hampton, adaptée du roman épistolaire de Pierre Choderlos de Laclos. Dans une mise en scène ingénieuse de Serge Denoncourt, une impressionnante distribution, qui comprend Éric Bruneau et Magalie Lépine-Blondeau, tire et relâche, tel un pantin, les ficelles qui la relie au support contrôlé par la brillante marquise de Merteuil.

Et elle a tout calculé: pour éviter que son ancien amant ne connaisse le bonheur auprès de la candide Cécile Volanges (Kim Despatis), avec qui il doit convoler en justes noces, la marquise de Merteuil (Julie Le Breton) propose au charmeur et vicomte de Valmont (Éric Bruneau) de séduire la jeune femme et d’ainsi ruiner son image angélique. Le vicomte ayant plutôt planifié jeter son dévolu sur la magnifique présidente de Tourvel (Magalie Lépine-Blondeau) qui le rejette pourtant, les deux complices aussi perfides l’un que l’autre décident d’unir leurs plans. Bientôt, grâce à une joute bien pensée par la marquise et bien orchestrée par le vicomte, tous les pions sont placés pour que le noir, diabolique, l’emporte sur le blanc, pur. Mais s’il pensait être le roi, Valmont se retrouvera rapidement en situation de mat par la reine Merteuil.

Jusqu’aux couleurs des costumes, qui changent en fonction des gens avec qui se trouve le vicomte (le noir lorsqu’il est aux côtés de la marquise de Merteuil; le gris ou le blanc lorsqu’il se retrouve avec la présidente de Tourvel, la naïve Cécile Volanges ou encore son aimable tante, madame de Rosemonde (Lénie Scoffié)), aux pièces dans lesquelles l’action se déroule, en passant par l’attitude et les propos du personnage de Valmont, tout dans la mise en scène de Denoncourt suggère l’oscillation, voire la confrontation entre le bien et le mal, entre le pur et le malsain. C’est d’ailleurs dans l’interprétation d’Éric Bruneau que tout se traduit, alors que lui passe avec une aisance impressionnante entre la personnalité d’amoureux romantique et bienveillant, à celle d’un séducteur cruel à qui aucune femme ne peut résister. Plus que convainquant, Bruneau épate grâce à la facilité avec laquelle il change de chapeau et grâce au naturel de son jeu, qui n’est d’ailleurs pas très loin de l’apprécié menteur et manipulateur Sylvain Régimbald des premières années de Toute la Vérité.

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Grâce à une scène pivotante sur laquelle sont placés d’innombrables chaises et fauteuils d’époque représentant ici et là la demeure de la marquise et la maison en campagne de madame de Rosemonde, entre lesquelles l’appartement du vicomte et celui de la présidente se glissent, Denoncourt réussit non seulement à départager les scènes, telles les lettres du roman épistolaire, mais aussi à créer un dynamisme et une continuité intéressantes. De toutes les scènes – ou presque –, le vicomte de Valmont se promène aisément sur la pastille tournante, démontrant à quel point il a des liaisons avec tout le monde. En fait, il est le fil conducteur de la pièce, mais aussi du pantin manipulé par la marquise.

Entre les cœurs brisés, le viol et les tromperies, il faut dire que Les liaisons dangereuses ne tient pas un propos léger. Pourtant, en passant d’une situation à une autre, tantôt en faisant l’amour avec vigueur à son amante, tantôt en suppliant à genoux la présidente de Tourvel de ne pas le quitter, le personnage du vicomte de Valmont contribue à créer une aura de vaudeville à ce drame évident. L’humour, malgré tout très présent dans la pièce grâce aux expressions faciales des comédiens et au comique de certaines situations, allège la dureté de l’histoire, mais nuit quelque peu au propos tenu, comme en témoignent les nombreux rires du public à des endroits où les larmes auraient été davantage d’usage.

Les-Liaisons-Dangereuses-Duceppe-Bible-Urbaine-CritiqueMalgré cela, et outre quelques longueurs aux débuts des deux actes avant que l’action ne débute véritablement, Les liaisons dangereuses séduit par sa distribution impressionnante, où tout le monde se montre à la hauteur et se démarque à sa façon. Annick Bergeron, notamment, en madame de Volanges, fait sourire grâce à son attitude  de bonne famille et de bonne réputation. Le clin d’œil final aux lettres qui forment le roman du XVIIIe siècle, en mettant en scène les différentes correspondances entre les personnages qui lisent à voix haute la lettre reçue et tenue par un autre, est également des plus intéressants, permettant par le fait même de boucler la pièce en dévoilant les derniers événements importants, tel un épilogue.

L’élément qui se démarque aussi de cette pièce est le propos féministe évident. Plaçant d’abord une femme comme personnage fort de l’histoire, des répliques telles que «J’ai toujours su que j’étais née pour dominer votre sexe afin de venger le mien», ou encore des scènes comme celle où la tante de Valmont réconforte la présidente de Tourvel en lui listant les raisons de ne pas faire confiance aux hommes et de ne pas s’engager véritablement avec eux, achève de démontrer la supériorité des personnages féminins du récit.

Mais, malgré cela, les femmes ne gagneront pas la partie, pas plus que les hommes. Car personne ne sort gagnant du jeu de la perfidie. Des personnages naïfs comme le chevalier Danceny (Philippe Thibault-Denis) et Cécile Volanges, qui se retrouveront pervertis par leur entourage et qui devront embarquer dans le jeu, aux créateurs dudit jeu, qui croient le contrôler mais qui s’y font prendre comme des débutants, tous en sortiront perdants. Même la marquise de Merteuil qui, à l’instar de Marie Tudor jouée par la même interprète quelques mois plus tôt avec autant d’aisance et d’aplomb, finira seule et sans amour, à force de manipuler et de se jouer de tout le monde.

La pièce «Les liaisons dangereuses» de Christopher Hampton, traduite et mise en scène par Serge Denoncourt, est présentée au Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 17 mai 2014.

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