ThéâtreCritiques de théâtre
L’an dernier, c’est à l’invitation d’une amie que j’avais assisté à la première édition des Laissés pour contes. Cette année, je cours à la première pour ne pas manquer cette aventure théâtrale déjantée présentée au Théâtre de l’Esquisse sur Marie-Anne du 11 au 15 décembre.
Qui dit petit théâtre, dit intimité. Le conte du titre est tout à-propos, car il appelle aux secrets et aux découvertes. Et quoi de mieux que décembre pour écouter des contes? Le principe de la soirée Les laissés pour contes, de la troupe du même nom, est d’autant plus alléchante que l’on y propose des textes d’auteurs de la relève, ceux qui sont pour l’instant laissés de côté et dont la voix ne résonne pas encore, et l’interprétation de ces textes par des acteurs, eux aussi de la relève.
Six contes, donc, sous le thème de l’injustice. Pierre Chamberland, le metteur en scène, a poussé le concept à l’extrême, le déstructurant, le réinterprétant pour les spectateurs présents le soir de la première. Le conte, urbain il va sans dire, devient, sous la plume des auteurs et dans le corps des acteurs et performeurs, une manière d’observer et d’interpréter le monde qui nous entoure. Et il est cruel ce monde, parfois triste, parfois cynique: l’injustice n’épargne personne.
Les manifestations du Printemps érable, les rêves déchus, la banlieue et la ville, l’adolescence, le sida et la vengeance: autant de sujets qui sont abordés dans une mise en scène sobre, sans décor ou presque; une chaise, un tabouret, laissant toute la place aux textes et aux corps des comédiens. Ce ne sont pas des interprétations, mais des déclamations, chaque conte étant plus puissant et évocateur que le précédent.
Raconte-moi
Dans «La ville la plus heureuse du Québec», écrit et campé par Mathieu Lepage, brusque retour à sa banlieue natale pour un homme qui ne peut plus supporter la ville; les souvenirs douloureux refont surface brutalement. Lepage est succulent, jouant tour à tour son personnage et des banlieusards stéréotypés, et s’adresse directement à la foule, cet acteur a la scène dans le sang.
«C’est pas triste», le premier conte de la soirée, écrit par Nadia Essadiqi, et joué par elle et Julien Lemire, évoque l’amour foudroyant d’un couple, et les manifestations du printemps dernier, dans une danse aussi lascive que macabre. Un mariage sublime de théâtre, de danse et de poésie.
Catherine Dumas et Pascale Tremblay, les conteuses de «Pour l’amour des cochons» et «Maxime» livrent des performances touchantes et poignantes, cependant, leurs textes manquent parfois de subtilités et permettent moins de se délecter du talent évident des jeunes femmes. La soirée file, et les rires parfois amusés, parfois déplacés, mais toujours provoqués dans le but de déranger un peu et de faire réfléchir beaucoup, laissent les numéros s’enchaîner gaiement.
L’ultime numéro de la soirée est le plus abouti. Écrit par le directeur artistique des Laissés pour contes, Pierre Chamberland, «Le cours de natation» s’attaque à la vengeance. Un homme, Joël Losier (excellent et caustique), arrive sur scène en jaquette d’hôpital et torticolis. C’est sa rencontre avec la piscine et une ancienne camarade, le souffre-douleur de toute une école, qui feront déraper son intérêt pour la nage. La livraison est presque parfaite et clôt une soirée qui manquait cependant un peu d’extravagance. L’audace était au rendez-vous cependant, par le thème surtout, mais aussi par la qualité des textes.
En 2011, la première édition des Laissés pour contes m’avait fait rire et pleurer, et une réelle cohésion s’installait entre les différents contes pour ne former qu’un seul et même tout. La mouture 2012 manquait un peu de finition, particulièrement dans le rythme, les entrées et les sorties entre les numéros. La présence de Michaël Lafrenière à la guitare dérange plus qu’elle ne meuble les intervalles entre les contes. Les laissés pour contes est toutefois une soirée bien de son époque, et quoi de mieux que décembre pour réfléchir sur l’année qui se terminera bientôt?
Les laissés pour contes, du 11 au 15 décembre 2012 au Théâtre de l’Esquisse (1650, Marie-Anne Est).
Mise en scène: Pierre Chamberland
Assistance à la mise en scène: Pascale Tremblay
Distribution: Catherine Dumas, Geneviève Fontaine, Nadia Essadiqi, Julien Lemire, Mathieu Lepage, Joël Losier et Pascale Tremblay
Appréciation: ***
Crédit photo: Yan Leblond
Écrit par: Annabelle Moreau