«Les aiguilles et l'opium» de Robert Lepage, mettant en vedette Marc Labrèche, au TNM – Bible urbaine

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«Les aiguilles et l’opium» de Robert Lepage, mettant en vedette Marc Labrèche, au TNM

«Les aiguilles et l’opium» de Robert Lepage, mettant en vedette Marc Labrèche, au TNM

La beauté délimitée

Publié le 9 mai 2014 par Jim Chartrand

Crédit photo : Nicola Frank-Vachon

C'était soir de première jeudi dernier alors que le Théâtre du Nouveau Monde (TNM) présentait une version revisitée de la pièce Les aiguilles et l'opium de Robert Lepage. Une soirée dans l'ensemble réussie où une salle comble est tombée sous le charme de l'univers d'un génie confirmé et d'un interprète en pleine possession de ses moyens, l'éclectique Marc Labrèche.

Il fallait oser. Demander à un artiste avant-gardiste comme Robert Lepage, qui aime se servir du passé pour mieux aller de l’avant, de revisiter une de ses premières pièces, ce n’était certainement pas une partie gagnée d’avance. Pourtant, Marc Labrèche, qui avait jadis lui-même pris part à cette même pièce, a tenté l’impossible et le voici donc devant nous, exhibant son savoir-faire dans un terrain de jeu ambitieux, comme on s’en doute, que seul Lepage pouvait concevoir.

Enrichi de ses nombreuses expériences avec le Cirque du Soleil, en plus d’avoir magnifié sa mise en scène de projections et de jeux de regards comme il en a l’habitude, Lepage a plus que jamais misé sur son dispositif scénique, exigeant de sa distribution un jeu plus physique que la normale. Effectivement, outre les pirouettes aériennes à l’aide de câbles et de poulies, on limite la scène à un cube ouvert et pivotant qui multiplie les lieux et les situations à l’aide d’une ingéniosité qu’on cherche encore à s’expliquer. Telle une boîte à surprises, on voit la drôle de création tournoyer sous nos yeux et devenir tour à tour chambre d’hôtel, extérieur de club, extérieur de gratte-ciel new-yorkais, studio d’enregistrement parisien et on en passe. Le dispositif scénique en question est légèrement incliné, ce qui force les comédiens à se déplacer avec rigueur et équilibre comme dans une chorégraphie savante rappelant Fred Astaire.

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Il ne faut pourtant pas se surprendre, puisque Robert Lepage a toujours aimé multiplier les clins d’oeil et les références culturelles et intellectuelles. Sa pièce autobiographique effectue le croisement entre trois peines d’amour: la sienne, mise en relation avec les états d’âme de Jean Cocteau, et celle de Miles Davis. Et si Labrèche incarne avec force et nuance tout le personnage, il est impossible de ne pas reconnaître le créateur derrière l’écriture les textes, les situations et les façons de les vivre et de les exprimer. Avec son humour singulier qui aime se moquer des banalités du quotidien, tout en critiquant de façon constructive le milieu artistique, Lepage sait habilement rassembler le public et le détendre en même temps que l’ébahir.

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C’est toutefois peut-être là que le bât blesse. Si on ne cache pas l’audace de la prémisse et la poésie jumelée des réflexions de Lepage et de Cocteau, on regrette que le festin visuel et physique qui nous est offert prenne souvent le dessus sur tout le reste. En multipliant les changements de décor et en équilibrant le temps de scène entre Labrèche qui est, tour à tour, Jean et Robert, ainsi qu’un Miles Davis muet, brillamment interprété par Wellesley Robertson III, on dilate ainsi de beaucoup le rythme et l’émotion au point de perdre une bonne charge de profondeur en cours de route. C’est peut-être pour cela que, malgré les nombreux tableaux d’une beauté inouïe, on retient surtout la scène mémorable où Lepage orchestre une conversation imaginaire entre Louis Malle, projetée à l’écran, et lui-même, interprété par un Labrèche au plus poignant de sa performance. Un moment d’anthologie où le poids de la solitude est démontré par le biais de deux êtres qui se parlent sans nécessairement être présents.

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Malheureusement, cet éclair de génie n’est pas assez approfondi, ouvrant l’espace, littéralement!, pour un lendemain qui nous laisse un peu sur notre faim.

Ne nous méprenons pas, toutefois. L’ingéniosité de Robert Lepage est sans précédent et bien que son cube limite un peu l’horizon de son propre univers, créant un huis clos mixte autant délimité par ses personnages que sa dimension, cela ne l’empêche pas de créer des images d’une force et d’une beauté qui sauront nous hanter encore longtemps une fois le rideau tombé. Pour le reste, en terme de performance scénique, Labrèche est sans conteste au sommet de sa forme.

«Les aiguilles et l’opium» affiche complet au Théâtre du Nouveau Monde (TNM) du 6 au 31 mai, mais des supplémentaires ont été ajoutées les 19, 20 et 21 juin 2014.

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