ThéâtreL'entrevue éclair avec
Crédit photo : Arach'Pictures - Najim Chaoui
Charles, on te souhaite la bienvenue à cette série d’entrevues! Tu es acteur, animateur, traducteur et metteur en scène wendat, en plus d’être codirecteur artistique de la compagnie de théâtre Productions Menuentakuan. D’ailleurs, on l’avoue d’emblée: on a eu bien du fun à jaser avec tes comparses Xavier Huard et Marco Collin récemment! À ton tour, on aimerait te demander: parle-nous brièvement de ton parcours professionnel, des étapes charnières qui t’ont mené là où tu es aujourd’hui, et de ce qui te passionne dans ton quotidien.
«Jeune, jamais je n’aurais pensé faire du théâtre un jour. Honnêtement, je m’étais inscrit au cours de théâtre au secondaire pour changer d’air, pour sortir des salles de classe. Ç’a été une découverte à laquelle je ne m’attendais pas. Je n’étais pas quelqu’un de très grégaire, mais juste le fait de pouvoir trouver un espace d’affirmation et de collaboration avec les autres sur scène a été un élément majeur pour moi. Certains se raccrochent à l’école par les sports, moi, c’était par le théâtre.»
«Un autre élément majeur de mon parcours c’est d’avoir découvert le théâtre autochtone au moment où je découvrais cette identité qui dormait en moi. C’est à travers cette discipline que j’ai déterré certains souvenirs, certaines manières de penser, en plus de m’identifier face aux autres et face à moi-même.»
«Une fois que tu prends conscience de l’impact que ça a sur toi, il n’y a plus un grand chemin à faire pour comprendre l’impact que ça peut avoir sur les autres. Ça devient une mission plutôt qu’un métier, après ça.»
Du 6 au 30 novembre, en coproduction avec les Productions Menuentakuan et le Théâtre Niveau Parking, le Théâtre du Trident de Québec a accueilli le spectacle Yahndawa’: ce que nous sommes, d’après un texte de Marie-Josée Bastien, dans une mise en scène de Véronique Makdissi-Warren. À travers cette histoire, l’autrice offre «une autofiction avec des personnages issus du réel et d’autres, inventés, une œuvre sur les Wendat et leurs racines, sur leur pouvoir de résilience, sur l’identité et la fierté d’une nation». Qu’est-ce qui t’a frappé avec ce texte lorsque tu l’as lu pour la première fois?
«Je ne peux pas dire que j’ai lu le texte pour “une première fois”. Marie-Josée et moi avions commencé à parler de ce projet avant la pandémie. Depuis, on a passé plusieurs heures dans des salles de répétitions à réfléchir à ce qui devait et pouvait être dit. J’ai donc suivi de près le processus de création: j’ai proposé des structures, des approches, j’ai même écrit des scènes dont elle pouvait librement s’inspirer.»
«Depuis ma sortie de l’université, j’ai sauté dans le théâtre autochtone, poussé par ma propre recherche identitaire. Je comprenais bien le désir de Marie-Josée de faire ce chemin aussi – un chemin différent pour les deux, mais avec la même intention. Ce qui m’a frappé, c’est de voir à quel point nous avions des perspectives et des versions d’histoires différentes par rapport à notre famille et à notre place dans l’histoire de Wendake. Ça nous a menés à de grosses remises en question.»
«Mais ce qui nous reconnectait chaque fois, c’est ce désir de se rapprocher d’une communauté que nous n’avions pas pu habiter et d’une culture qui ne nous avait pas été transmise, et aussi de réaliser que les lois qui régissent les autochtones avaient beaucoup à voir avec cette perte de repères et d’identité.»
Au cœur de ce spectacle, on fait la connaissance du patriarche Ludger Sarenhes Bastien, «un homme d’affaires prospère du siècle dernier qui mène un combat contre la Ville de Québec pour obtenir réparation face à une injustice». Autour de cette histoire se tissent les trames d’une descendance huronne-wendat qui finissent, au bout du compte, par s’entrechoquer et se répondre. Ainsi, divers membres de la famille, toutes générations confondues, font leur apparition, d’Armand à Adèle, d’Élizabeth à Yandicha, jusqu’à Angnolien, l’arrière-arrière-arrière-petit-fils «avec, toujours en son centre, Yahndawa’: la rivière majestueuse». Peux-tu nous expliquer, sans tout nous dévoiler bien sûr, les enjeux auxquels seront confrontés ces personnages?
«Pour moi, c’est l’histoire d’une famille qui perd sa connexion à son identité et à ses repères, et qui doit remonter à la source pour comprendre ce qui s’est passé et comment elle peut réintégrer sa communauté. C’est le cas de plusieurs familles autochtones à travers le Québec et le Canada, dont la famille a encore une place importante dans la mémoire de la communauté, mais dont certains individus ont été perdus en chemin.»
«Au début de l’histoire, les personnages sentent que le bonheur est ailleurs, puisqu’ils n’arrivent plus à le trouver chez eux et, petit à petit, les générations qui suivent, voyant que cette fuite leur a arraché une partie d’eux-mêmes, tentent de renouer les fils de leur histoire et de se refaire une place dans un monde qu’ils ont été forcés de quitter.»
D’après toi, quelles réflexions ou émotions resteront gravées dans la mémoire de nos lecteurs et lectrices après la représentation?
«C’est difficile à dire. Yahndawa’: ce que nous sommes, c’est un projet tellement personnel. Tu te mets dans un état de vulnérabilité et tu tentes de rejoindre une oreille attentive et compatissante. Ce qu’un public en pense te sort un peu des mains. On n’essaie pas, avec ce spectacle, de faire la leçon à un public allochtone; on cherche seulement à trouver les fils d’humanité qui nous rattachent afin de créer un tissage qui représente notre histoire commune.»
«Il y a bien des éléments qui mettent en contexte la situation particulière des Autochtones, et plus précisément des Wendats, mais c’est d’abord et avant tout l’histoire d’une famille déchirée qui tente de se reconstruire et de rendre hommage à la résilience des générations qui sont venues avant.»
«Il y a un proverbe africain qui dit: “Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient”. Ça prend tout son sens quand on ramène ça sur le plan de la protection et la valorisation du patrimoine.»
Pour ceux et celles qui ne le savaient pas, les Productions Menuantakuan est l’une des compagnies résidentes du Théâtre Aux Écuries, un théâtre de quartier qui a toujours su diversifier ses productions artistiques afin d’innover et d’atteindre une clientèle toujours au rendez-vous. Dis-nous bien franchement: que serait ta vie sans le théâtre?
«Je ne peux pas imaginer un moment plus paisible dans ma vie que celui d’être en coulisse juste avant d’entrer sur scène. Oui, il y a du stress, mais il n’y a pas de moment ou de lieu au monde où je me sens plus “connecté”. Je ne sais vraiment pas, à ce moment-ci, ce qui pourrait m’apporter plus de plénitude – sauf peut-être de partager des moments précieux de jeu et de découverte avec ma fille.»
«Ça demande beaucoup de résilience. On doit défendre notre milieu contre l’effritement, mais c’est ça qui me tient motivé jour après jour.»