ThéâtreL'entrevue éclair avec
Crédit photo : John Londono
Anna et Thomas, on est ravis de faire votre connaissance! Pourriez-vous nous en dire plus sur ce qui vous a menés à coécrire la pièce Happy Hour, en collaboration avec la metteure en scène Ana Pfeiffer Quiroz?
A. «En fait, c’est Ana Pfeiffer Quiroz qui a eu l’instinct de nous réunir et de nous proposer ce travail de création. Nous avions déjà fait un projet artistique auparavant (Parrêsia à la Place des Arts) et elle connaissait les aptitudes de Thomas et moi pour la recherche à partir d’improvisations.»
«Ana Pfeiffer Quiroz crée à partir des récits intimes des interprètes qu’elle va ensuite broder pour faire une toile dramatique à travers laquelle les interprètes deviennent des personnages d’eux-mêmes. Ce processus demande une grande confiance et un grand abandon. Nous sommes un trio solide, et Thomas et moi avons plongé aveuglément dans ce processus.»
T. «Ana, la metteure en scène, étudie présentement au doctorat, et c’est une passionnée de la recherche artistique sous toutes ses formes. Avec ce projet, elle voulait savoir comment la honte ressentie dans notre quotidien peut devenir un moteur de création. Elle a choisi le titre Happy Hour pour tourner au ridicule notre manière de faire semblant que tout va toujours bien! Personnellement, c’est quelque chose qui m’a allumé parce que j’ai beaucoup de mal avec le small talk, même si je comprends pourquoi c’est beaucoup plus facile de faire comme si tout allait bien.»
«Ce qui est vraiment intéressant en tant qu’interprète pour Happy Hour, c’est qu’Ana explore comment les histoires qu’on répète, à soi et aux autres, contiennent une part de fiction. C’est ce qui fait que les histoires personnelles que je partage dans le spectacle ne m’appartiennent plus vraiment après un certain moment.»
Au-delà d’être coauteurs du spectacle, vous en êtes également les deux interprètes. Dites-nous en plus sur votre jeu scénique et sur les personnages que vous interprétez!
A. «Dans ce spectacle, Ana Pfeiffer Quiroz avait envie de montrer sur scène le côté plus monstrueux des individus. En réponse au phénomène des réseaux sociaux qui nous pousse souvent à nous représenter sous notre meilleur jour, à nous mettre en scène au quotidien. Happy Hour devient donc une heure joyeuse où nous partageons nos petites laideurs et où nous nous mettons à nu, vrais et parfois laids.»
«Dans ce spectacle j’ai ressenti le besoin de m’exprimer sur les sujets qui m’habitaient, comme la surcharge mentale, le poids d’être une mère, une bonne épouse, une bonne amie, une bonne collègue, une bonne citoyenne… Me mettre à nu sans pudeur, sans jugement.»
T. «Pour ma part, la création de Happy Hour m’a permis d’aborder une question réelle que je me pose: “Pourquoi les gens font-ils des enfants?” Comme homme gai, je porte un regard très dur sur les couples hétérosexuels, dont mes propres parents, qui commettent l’irréparable! Cette incompréhension est mon fil conducteur sur scène et la performance m’aide à faire sortir le méchant qui est en moi.»
Après avoir été présentée une première fois au Théâtre Prospero en février 2020, la pièce Happy Hour sera cette fois proposée sous la forme d’une création filmique, du 1er au 11 avril 2021 au Théâtre Aux Écuries. Qu’est-ce qui a été actualisé dans cette adaptation, ainsi qu’au niveau du regard que vous portez réciproquement sur ce projet?
A. «Nous étions très excités de présenter le spectacle devant le public du Théâtre Aux Écuries. Puis, la pandémie est arrivée, nous obligeant à nous réinventer. Plutôt que de faire une traditionnelle captation vidéo du spectacle, nous avons trouvé que ce serait une meilleure idée de profiter du médium de la vidéo pour penser l’œuvre de façon plus cinématographique. Nous avons exploré les différents effets visuels et cherché la meilleure façon de mettre en valeur notre parole créative. Nous avons aussi actualisé l’œuvre en lien avec les événements des derniers mois, ce qui rend, selon moi, l’œuvre encore plus actuelle.»
T. «Pour la création filmique de Happy Hour, Ana s’est associée au réalisateur, monteur et directeur photo Alejandro De Léon pour produire une œuvre en soi. Tous les deux sont repassés à travers le spectacle, minute par minute, pour offrir aux téléspectateurs une nouvelle proposition artistique. Bien que nous ayons tourné Happy Hour dans une salle de théâtre, le lieu devient presque une location cinématographique formidablement mise en valeur par la scénographie de Manon Guiraud et les lumières de Nicola Dubois.»
Il y a un certain sentiment d’urgence qui se dégage à travers Happy Hour: le spectateur peut en effet ressentir cette fébrilité, cette «sensation d’assister à l’accélération d’une fin d’époque, au point d’un non-retour de notre civilisation». Est-ce que la pandémie a, d’une façon ou d’une autre, accentué ce sentiment de votre côté?
A.«Je pense que oui. Pour ma part, je trouve que la pandémie a fait ressortir plus que jamais ces sentiments d’urgence, de fin du monde et d’apocalypse. Le spectacle apparaît comme un annonciateur de ce qui allait arriver, puisque nous avons joué une première version en février 2020 et que nous le rejouons un an plus tard, au moment de souligner le premier anniversaire de la pandémie.»
«Cette pièce s’ancre vraiment dans l’ère du temps, et les sujets que nous y abordons sont plus que jamais en lien avec notre quotidien. Entre monde rêvé et vie fantasmée, il y a le quotidien, parfois lourd, et souvent imparfait.»
T. «Quand nous avons joué Happy Hour pour la première fois en février 2020, il y avait déjà un goût de fin du monde. J’avoue que cela fait des années que je ressens cette lourdeur du monde – déjà à l’école secondaire dans les années 90, j’étais terrorisé par les changements climatiques! Rien ne me surprend dans notre époque, mais c’est fascinant de voir comment nous vivons ce point de basculement collectif en ce moment. Rien ne sera plus jamais pareil dans l’avenir et, d’une certaine façon, je crois qu’il s’agit d’une bonne nouvelle.»
«Le théâtre est peut-être la meilleure forme d’art pour aborder cette situation, puisqu’il a survécu à des siècles, voire des millénaires de changements.»
Allez, dites-nous pourquoi il faut absolument visionner cette création filmique?
A. «Happy Hour, c’est une heure joyeuse passée à vous exhiber nos petites laideurs. Une pièce dans laquelle on peut se reconnaître, se décomplexer et se sentir normal. Une pièce à recevoir avec le cœur, qui nous rappelle que, malgré toutes ces complexités, l’être humain est une bien drôle de bête que nous aimons parfois détester et célébrer.»
«Happy Hour est une création filmique qu’il sera bon de regarder dans le confort de son salon, en mou ou les deux doigts dans le nez, loin des regards; une heure passée à se faire du bien seul, mais ensemble.»
T. «Il faut absolument voir l’œuvre filmique Happy Hour, parce que ça reste un spectacle très drôle et touchant! On peut dire que nous avons entendu l’appel à la «réinvention des artistes». L’équipe du Théâtre Aux Écuries a aussi été fantastique en nous permettant de transformer la scène et la salle en laboratoire d’expérimentation cinématographique pour le tandem formé par Ana Pfeiffer Quiroz et Alejandro De Léon.»
«D’une certaine façon, la version filmique de Happy Hour est aussi une lettre d’amour aux arts vivants.»
Achetez vos billets en ligne dès maintenant aux coûts de 18 $ (tarif régulier) et 15 $ (tarif étudiant) sur le site du Théâtre Aux Écuries ici. Pour lire nos précédents articles «L’entrevue éclair avec» et faire le plein de découvertes, consultez le labibleurbaine.com/nos-series/lentrevue-eclair-avec.
*Cet article a été produit en collaboration avec Théâtre Aux Écuries.
«Happy Hour» d'Ana Pfeiffer Quiroz en images
Par John Londono et Gopesa Paquette