Théâtre
Crédit photo : Théâtre de fortune et Théâtre Denise-Pelletier
Camus a quitté ce monde avec, dans les débris de sa voiture, le premier tome inachevé de ce qui aurait dû être une trilogie, dont le héros, Jacques Cormery, cherche en vain à renouer avec le peuple algérien. Cet héritage, que Camus avait intitulé Le premier homme, légué deux ans avant la déclaration d’indépendance de l’Algérie et la déportation de plus d’un million de Franco-Algériens n’avait rien pour briser cette image tragique.
Ce roman, qui ne sera publié qu’en 1994, soit 34 ans après sa mort, a su éveiller pour son drame une ardeur nouvelle aux yeux des artistes contemporains, dont le réalisateur Gianni Amélio, qui en a fait un film, en 2012, et même José Munoz qui illustra, en 2013, l’ouvrage sous forme de bande dessinée. C’est ensuite au tour de Jean-Marie Papapietro de reprendre le flambeau en sol québécois, sous la forme de la dernière production du Théâtre de fortune, dont il assure aussi la direction artistique. Il exprime ici les questionnements politiques et existentiels du Premier homme, à travers les voix de Roch Aubert, Monhsen El Gharbi, Gaétan Nadeau, Christophe Rapin et Philippe Régnoux.
Les critiques qui se sont attardés aux Chroniques algériennes et à l’ensemble des positions de Camus sur l’Algérie le décrivent souvent comme un enfant qui s’est identifié aux opprimés. Toutefois, dans cette identification, on lui reproche d’avoir perdu de vue l’oppression que la France, à laquelle Camus devra ensuite sa gloire d’homme littéraire, a pu faire subir à son peuple d’origine. Il sera aussi vivement critiqué lorsqu’il décrira la nation algéroise arabe comme une réalité sans existence propre, si elle prétend exclure ses fraternités françaises. Mais parlait-il alors vraiment des autres Algériens ou du souvenir paisible qu’il tentait désespérément de retrouver en lui-même de sa terre natale?
Ce qui se propose comme la quête d’une réponse, par la voie d’un théâtre documentaire, se fait aussi le théâtre de la rencontre entre deux auteurs, marqués du sort de ceux que les Arabes algériens nommèrent les Pieds noirs: celle de Camus et de Jean-Marie Papapietro qui a également vécu sa jeunesse en Algérie, avant de devenir homme de théâtre et d’enseignement en France, puis au Québec. Entre le Camus de chair et Jacques Cormery, entre le colonialiste et l’Homme révolté, et enfin entre les témoignages du passé et la nostalgie bien vivante, il reste donc à Papapietro tout un éventail de possibilités à explorer.