ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Michael Slobodian
Aborder la pensée d’un philosophe avec, en trame de fond, une relation très complexe avec la terre de son enfance alors en pleine révolution, est un projet téméraire pour une scène reconnue pour sa vocation grand public et étudiante. Le choix est d’autant plus hasardeux que l’auteur, Jean-Marie Papapietro, prend le parti de présenter la complexité de la chose plutôt que de conclure par une accusation ou un éloge de la prise de position algérienne de Camus. On sent néanmoins une sympathie liant cet auteur et metteur en scène au philosophe, dont il rassemblé une multitude de textes théâtraux, journalistiques, romanesques, ainsi que des essais et des minutes d’entrevues afin d’illustrer sa pensée.
Dans ce tout pêle-mêle, repris par une bande d’hommes construisant la pièce devant les spectateurs, en remettant en question la pertinence de tel ou tel extrait pour le public, le fil conducteur ne se tisse que graduellement. Pourtant, dans ce florilège d’extraits, une pensée, à la fois solitaire, fragile et persistante, bâtit, pierre par pierre, sa cohérence, à propos d’une fraternité qui tombe en ruine entre deux peuples. Il est incroyable de constater à quel point la langue de Camus peut s’avérer stimulante, ironique et provocatrice, malgré sa richesse réflexive.
La persistance de l’aspiration presque désespérée de Camus à la réconciliation nationale, alors que les déchirements se révèlent de façon de plus en plus criante, offre une montée dramatique significative. Entre deux passages plus sombres, les personnages glissent inopinément des extraits plus humoristiques et prolongent ces moments de légèreté sur un mode plutôt fantaisiste cela dans un décor minimaliste, pour leur mise en contexte.
Il est difficile de comprendre pourquoi l’accent québécois n’est jamais emprunté, alors que l’action est censée se dérouler ici. Mais pour le reste, le jeu des cinq acteurs demeure irréprochable. La triste profondeur de Roch Aubert, lorsqu’il interprète Camus, de même que la subtilité humoristique de Gaétan Nadeau, méritent d’être particulièrement soulignées.
Toutefois, la pièce s’adresse un peu trop à l’esprit et trop peu au corps pour être suggérée d’emblée à ceux qui découvrent l’art théâtral. Par contre, l’alternance des rythmes et des styles, de même que la magie du jeu des acteurs permettent à la pensée de Camus en quelques heures à peine, d’établir des bases dans l’esprit de chacun, et cela mieux qu’aucune leçon magistrale. Une discussion entre passionnés d’existentialisme et initiés de la dernière heure, au terme de la pièce, confirme d’ailleurs que le charme de la découverte opère sur tous. Ainsi, Papapietro aura-t-il su éveiller la fibre mobilisatrice à laquelle Camus, même en pleine révolte intime, a toujours voulu faire appel.
La pièce L’Énigme Camus – Une passion algérienne est présentée jusqu’au 29 novembre prochain à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier. Pour vous procurer des billets, veuillez vous rendre sur le site web du théâtre.
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de la rédaction