«Le roi se meurt» au Théâtre du Nouveau Monde (TNM) – Bible urbaine

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«Le roi se meurt» au Théâtre du Nouveau Monde (TNM)

«Le roi se meurt» au Théâtre du Nouveau Monde (TNM)

Le triomphe de la mort

Publié le 19 janvier 2013 par Camille Masbourian

Crédit photo : Yves Renaud

Les affiches de la saison 2012-2013 du Théâtre du Nouveau Monde (TNM), présentant Benoît McGinnis, l’interprète principal de la pièce Le roi se meurt, sont tapissées partout dans Montréal depuis près d’un an. Cette pièce phare de l’œuvre d’Eugène Ionesco, mise en scène par Frédéric Dubois, était attendue depuis longtemps. D’autant plus que la vision du metteur en scène était plutôt intrigante.

Au début du spectacle, le roi Bérenger 1er apprend qu’il mourra à la fin de celui-ci, soit au bout d’un peu moins de deux heures. Refusant ce destin qui lui a été trop longtemps caché, Bérenger passera ses derniers moments entourés de ses deux épouses, son médecin, sa servante et un garde, chargé d’annoncer les bulletins de santé du roi au reste du royaume. Égoïste, autoritaire et contrôlant, Bérenger ne peut accepter que son royaume soit en décrépitude et que ses sujets n’obéissent plus à ses ordres. Passant d’abord par le refus de cette mort, il devra la confronter pour finalement se rendre à l’évidence, ce qui donne une tragique scène finale.

Cette pièce, Ionesco l’a écrite après avoir lui-même passé du temps à l’hôpital en 1962. Voulant exorciser cette peur de la mort qu’il avait depuis toujours, il a décidé de la mettre en scène et de décrire cet abandon nécessaire de toutes les choses de la vie. Bérenger ne peut se résoudre à quitter ce monde qu’il a tant aimé diriger, mais c’est surtout l’idée que d’autres lui survivront qui lui est inacceptable. Il implore même que les autres meurent, pourvu que lui vive, dans une magnifique réplique qui démontre à la fois tout son égoïsme, mais aussi sa peur et une certaine fragilité.

Autour de lui, les personnages sont partagés entre la douleur de le voir s’effacer lentement et le soulagement qu’apporte la fin de son règne. La reine Marguerite,  sa première épouse, reste lucide face à ce destin qu’elle sait irréversible, accompagnant Bérenger jusqu’à la toute fin. Elle agit en opposition complète avec la reine Marie, seconde épouse du roi, amoureuse éplorée au comportement juvénile et naïf. Elle tentera de cacher cette vérité au roi, puis le suppliera de ne pas écouter les commentaires de Marguerite et du médecin.

Si le texte est devenu un classique du théâtre du 20e siècle, la mise en scène de Frédéric Dubois n’a rien de conventionnel. D’abord, Dubois propose une vision jeune et moderne de la pièce. Alors que les acteurs ayant précédemment interprété Bérenger étaient plutôt âgés, dans cette adaptation, c’est Benoît McGinnis, 34 ans, qui défend le rôle. L’idée d’un roi jeune, qui devrait avoir toute la vie devant lui mais qui se retrouve confronté à la fin de celle-ci, permet une lecture complètement différente de la pièce. La rage du roi est encore plus profonde. Sur scène, rien d’autre qu’une chaise représentant le trône du roi, ainsi qu’un immense miroir avec lequel jouent parfois les acteurs. Quelques scènes étant jouées dans la salle, au parterre comme au balcon, le miroir permet de suivre toute l’action, peu importe notre place dans la salle. Idée intéressante et bien exploitée.

L’absurdité de la pièce se retrouve finalement plus dans les costumes et les maquillages que dans le texte lui-même. Les deux reines aux visions diamétralement opposées le sont tout autant dans leur apparence. La jeune Marie portant une courte robe blanche et de hautes sandales à talons contraste avec Marguerite, sévèrement vêtue d’une longue robe noire. Dans leurs paroles comme dans leurs vêtements, elles représentent clairement la vie et la mort du roi. Les manteaux et robes des reines et de Juliette, la femme de chambre, cuisinière, jardinière et infirmière du roi, sont à la fois très modernes et tout à fait adaptés à cette mise en scène

La mise en scène est audacieuse, mais intéressante, lorsqu’on prête attention aux détails. Cependant, cette utilisation complète de la salle, le miroir, les costumes, les perruques et les maquillages des personnages pourraient facilement faire passer la pièce pour une sorte de caricature absurde du texte d’Ionesco. Cette proposition de Dubois n’est peut-être pas accessible à tous. Parfois magnifique, ce jeu des apparences semble aussi un peu ridicule à quelques reprises. Heureusement pas assez souvent pour que cela prenne le dessus sur l’appréciation de la pièce. Frédéric Dubois souhaitait que ce spectacle cause une petite onde de choc. C’est réussi.

Mais la plus grande force de cette mise en scène restera la solide distribution sur laquelle elle repose. Parmi les personnages gravitant autour du roi, ceux du garde, joué par le jeune Émilien Néron, et celui du médecin, interprété par Patrice Dubois, sont justes, mais plutôt effacés devant les trois femmes de la pièce. Violette Chauveau (Marie), Isabelle Vincent (Marguerite) et Kathleen Fortin (Juliette) se démarquent par leur jeu alternant constamment entre le tragique et le comique. Quant à Benoît McGinnis, l’un des meilleurs, sinon le meilleur acteur de sa génération, il joue un Bérenger très touchant dans sa douleur et sa peur, à la fois drôle et pathétique. Pouvait-il y avoir un autre comédien de son âge pour interpréter ce rôle? Probablement pas.

Le roi se meurt, d’Eugène Ionesco, mis en scène par Frédéric Dubois est présentée au TNM du mardi au vendredi à 20h et le samedi à 15h et 20h, jusqu’au 9 février.

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