ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Yves Renaud
D’abord, les trois premiers tableaux présentent les jeux d’adultes qui se déroulent dans la maison d’illusions de Madame Irma. Dans chaque salon, une mise en scène scénarisée selon les demandes particulières du client désireux d’incarner un homme de pouvoir. L’évêque (Roger La Rue) jouit de la confession des pêchés de La Femme (Kim Despatis), le juge (Denis Roy) et son bourreau (Stéphane Breton) font subir la justice à La Voleuse (Sonia Cordeau) et le général (Bernard Fortin) se rappelle ses glorieux combats sur le dos de sa jument (Marie-Pier Labrecque). Ces trois scènes, établissant ces trois figures d’autorité, ouvrent la pièce avec force. Leurs finales sont hautes en intensité et jubilatoires pour les clients en question.
Quittant les salons, nous voilà avec Irma et Carmen (Macha Limonchik), qui nous font découvrir l’envers des décors et de la vie de la maison d’illusions. À l’extérieur, en trame de fond, il y a la révolte populaire, dont Chantal (Julie Le Breton), une ancienne du boudoir, en est l’icône. On commence justement à s’inquiéter de l’absence de celui qui assure la sécurité des lieux. En effet, débarque finalement le Chef de la Police (Bruno Marcil) pour qui il serait si important d’avoir lui aussi «son simulacre dans la liturgie du boxon.» Le personnage est désireux d’atteindre la même nomenclature que le juge, l’évêque et le général, mais aucun client ne s’est encore présenté avec une telle demande.
L’arrivée de l’envoyé de la reine (Éric Bernier, qui brille, et le mot est faible, dans ce rôle), qui arrive au moment de l’explosion du palais, vient bousculer les évènements. Pour vaincre le peuple, il faut remporter le jeu des apparences et poursuivre l’illusion du pouvoir. Il faudra pervertir la réalité par l’image. Il faudra atteindre la condition sociale que l’on se plaît à incarner derrière les murs de chez madame Irma.
Évidemment, la conclusion de la pièce laisse de nombreuses questions en suspens. Le texte ne laisse pas savoir si la révolte n’était qu’une autre illusion orchestrée par les artisans du bordel de Madame Irma. Peut-être était-elle fausse comme tout le reste? Peut-être était-ce «l’image vraie d’un spectacle faux»? Aux yeux du metteur en scène, Le Balcon est «la dénonciation des récupérations tristement inévitables de toutes nos révolutions par l’ordre et la société» où «le théâtre de Genet dissèque les mécaniques du pouvoir et exprime avec audace les forces et les dangers de l’illusion.»
René Richard Cyr, qui a déjà présenté deux fois Les Bonnes, est visiblement familier aux écrits de Jean Genet et sa maîtrise de cet univers bien particulier lui a permis de créer un Balcon intègre à l’oeuvre de son auteur. Il va sans dire que Genet n’a pas la même notoriété au Québec qu’en France. Il y est trop peu souvent lu, étudié et joué. C’est que l’écrivain a énoncé des exigences complexes et primordiales quant à la manière de jouer ses pièces. Le fait de rappeler aux spectateurs qu’il est face à une représentation théâtrale n’est pas anodine, mais bien l’une des nécessités ressenties à la lecture du texte «Comment jouer Le Balcon».
Par ailleurs, il faut mentionner le travail accompli par l’équipe de création. Les costumes (Marie-Chantale Vaillancourt) – on souligne le complet d’Éric Bernier et la robe rouge de Marie-Thérèse Fortin – et les maquillages (Jean Bégin) ajoutent énormément aux personnages. Il en est de même pour les décors (Pierre-Étienne Locas), particulièrement ceux des salons, qui créent, par leurs nombreux détails, des lieux mémorables et symboliques.
La pièce «Le Balcon» est présentée au Théâtre du Nouveau Monde (TNM) jusqu’au 30 novembre 2013. Pour tout savoir, rendez-vous au www.tnm.qc.ca. Un évènement théâtral et littéraire porté par une solide distribution qu’il ne faut pas manquer. Il est garanti que vous en aurez beaucoup à dire lorsque les lumières se rallumeront dans la salle.
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de la rédaction