ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Yves Renaud
Jocaste Reine s’amorce alors que les époux filent le parfait bonheur depuis une vingtaine d’années comme reine et roi de Delphes. Leur amour est contagieux, et leurs quatre enfants en sont la preuve vivante. Mais voilà, comme dans toute bonne tragédie grecque, la malédiction s’acharne sur la ville, la peste ronge ses habitants, et épouse et mari sont à l’aube de découvrir le secret de leurs ébats incestueux.
Le TNM a l’habitude des voix fortes et des pièces mythiques. Avec Jocaste Reine, c’est le mythe par excellence, celui d’Œdipe qui se retrouve dans la mire de Lorraine Pintal, metteure en scène de la pièce et directrice du théâtre de la rue Sainte-Catherine. Et avec la plume de l’auteure Nancy Huston, forte voix féminine s’il en est, la séance s’annonçait belle surtout que les prémisses en étaient palpitantes: donner enfin la parole à Jocaste, la femme, la mère, l’épouse.
C’est Louise Marleau, qui n’avait pas monté sur les planches du TNM depuis 20 ans, qui se substitue en Jocaste trépidante de sensualité. Son vis-à-vis, l’acteur Jean-Sébastien Ouellet, est tragique dans tous les pores de son personnage. Mais ce sont les femmes de la pièce qui serviront d’écrin précieux à la parole de Jocaste: Monique Mercure est la suivante de la reine, Eudoxia, Maryse Lapierre fait une excellente Ismène, douce fille cadette du couple royal, et Marianne Marceau est sublime dans le rôle d’Antigone, indomptable et passionnée jeune femme. Une distribution royale, quoi.
L’hymen expliqué
Mais comment donne-t-on une voix à Jocaste? Celle-ci n’ayant pas résonné depuis 2500 ans, Nancy Huston avait du rattrapage à faire. Elle revient à la base: qu’est-ce qu’être femme? Question complexe qui demande une réponse complexe. Celle-ci laissera sûrement perplexe la femme du 21e siècle: c’est d’abord être une mère. La féminité existe par la maternité. Le sang menstruel, la matrice, l’hymen, le ventre qui enfle sont évoqués à maintes reprises, jusqu’à donner parfois le tournis, puisque martelés dans la première heure de la pièce.
Heureusement, sur scène, un fauteur de troubles, un oiseau de mauvais augure: Hugues Frenette est surprenant en coryphée, ce chœur résonnant des tragédies grecques. Son pythanaliste fait écho au complexe freudien découlé du mythe, et se fait détective ultralucide pour la tragédie annoncée. Sa présence est rafraichissante dans le contexte un peu empesé. La journée est longue et tragique pour les personnages de Jocaste Reine.
Une mise en scène efficace, mais sans plus, où vibre la musique et les chants de Claire Gignac, présente sur scène, vient appuyer solidement la voix des femmes, Jocaste d’abord, pour mieux les sublimer dans le destin de millier d’autres femmes.
La voix de Jocaste est un crescendo puissant, et son intensité s’accentue au cours de la pièce. Elle se fait victime et bourreau, instigatrice et provocatrice, mais le bain de sang attendu n’arrive pas: la révélation tombe à plat. Personne n’en sort vivant ou indemne pour autant. Jocaste savait, mais son amour pour Œdipe, son fils-époux, a pris le dessus. Voilà où se trouve la plus grande prouesse de Nancy Huston: la femme est amour envers et contre tous. Œdipe avait tort.
Jocaste Reine
Théâtre du Nouveau Monde du 5 au 30 mars 2013
Texte de Nancy Huston
Mise en scène de Lorraine Pintal
Coproduction Théâtre de La Bordée / Théâtre du Nouveau Monde
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