La pièce «Furieux et désespérés» d'Olivier Kemeid au Théâtre d’Aujourd’hui – Bible urbaine

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La pièce «Furieux et désespérés» d’Olivier Kemeid au Théâtre d’Aujourd’hui

La pièce «Furieux et désespérés» d’Olivier Kemeid au Théâtre d’Aujourd’hui

Fausse révolution

Publié le 24 février 2013 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Neil Mota

Après qu’Olivier Kemeid ait séduit le public avec sa précédente œuvre, Moi, dans les ruines rouges du siècle, sa pièce inspirée de la récente révolution appelée Printemps arabe était plus qu’attendue. Avec une fière distribution, Furieux et désespérés traite non seulement d’un sujet d’actualité récent qui n’a laissé personne indifférent, mais en plus, elle le fait sous un angle différent qui promettait d’épater. C’est pourtant à une fausse révolution du théâtre qu’on assiste, puisque malgré la pertinence du sujet, le spectacle est plutôt désolant.

On s’attendait à beaucoup, avec une distribution unissant Émilie Bibeau, Marie-Thérèse Fortin, Maxim Gaudette, Denis Gravereaux, Johanne Haberlin, Pascale Montpetit et Mani Soleymanlou, et un récit aussi personnel, presque autobiographique. En effet, c’est lors d’un voyage au Caire pour rencontrer la famille de son père que l’auteur s’est inspiré de sa parenté qui a décidé de rester en Égypte malgré les perturbations pour écrire Furieux et désespérés. On retrouve donc sur scène un Mathieu (Gaudette) jeune et naïf qui part vers la terre de ses ancêtres pour rencontrer Béatrice (Fortin) et, par le fait même, sa cousine Nora (Bibeau), son copain Eryan (Soleymanlou) et l’amie de la famille, Nadia (Haberlin). D’abord émerveillé par la vie et la beauté qui se dégagent de la ville et par la différence des deux cultures, Mathieu découvrira assez rapidement des conflits qui obscurciront son voyage.

Si la trame de fond est assez dramatique, c’est avec grande surprise qu’Olivier Kemeid a décidé de traiter le sujet avec un certain humour. Pascale Montpetit transformée en espèce de chaman qui déshabille Maxim Gaudette pour le masser, une scène de fête à la discothèque où Mathieu, la journaliste Florence (Montpetit également), Eryan et Nora dansent de façon insouciante, un chauffeur de taxi (Gravereaux) rappelant le fameux Rogatien du taxi 22, version égyptienne: les scènes presque parodiques qui font sourire ou froncer les sourcils d’incompréhension fusent de partout. Elles s’enchaînent sans crier gare, entrecoupées de moments plus sérieux, il va sans dire, mais qui contribuent à troubler le spectateur qui n’est jamais certain s’il doit rire.

Si le texte d’Olivier Kemeid est tout de même plein de sens et sensible à la situation égyptienne, aux violences et à la mobilisation de son peuple, la livraison ne rend toutefois pas honneur à ses écrits. Les seules scènes très sérieuses sont livrées à l’aide de grandes envolées lyriques et poétiques qui détonnent avec la langue populaire utilisée dans l’ensemble de la pièce. Presque comme un texte appris par cœur qu’on récite devant sa classe de quatrième secondaire, Maxim Gaudette vante à sa famille la beauté du Québec en faisant rimer ses phrases avec de jolies figures de style qui ne s’improvisent toutefois pas. On sent trop le texte derrière, dans ces quelques scènes où le ton employé crée une rupture dans le rythme de la pièce.

Côté ton, il y a également lieu de se demander si les problèmes de l’intense personnage d’Émilie Bibeau valent vraiment la peine qu’elle crie autant de sa petite voix. Non seulement ça ne nous fait pas mieux comprendre le drame dans lequel est plongé son pays adoré, mais en plus, ça agace sérieusement nos oreilles. Malgré l’inégalité des performances, il faut tout de même souligner la justesse de l’interprétation de Johanne Haberlin, Denis Gravereaux et Mani Soleymanlou, ainsi que Pascale Montpetit et Marie-Thérèse Fortin qui sont ici bonnes, sans toutefois épater. L’utilisation simple mais ingénieuse de la luminosité est également un atout à Furieux et désespérés, de même que son décor fait de semblant de boîtes de cartons, donnant un aspect défraîchi et réaliste aux bâtiments égyptiens.

Mais au final, ce sont trop de sujets seulement effleurés sans y plonger, trop de scènes se succédant et n’ayant pas tous de liens entre elles, et trop d’actions diverses pour un voyage de quelques jours seulement. Quatre jeunes confrontés à la tourmente du peuple égyptien, plongés au cœur du conflit et concernés par la révolution; quatre jeunes se sentant investis d’une mission, désirant pouvoir sauver l’Égypte entière en quelques jours; quatre jeunes dont l’un craint d’avoir tué un homme ne devraient pas se retourner comme si de rien n’était et aller s’éclater en boîte de nuit, pour finalement retourner sagement chez eux, satisfaits. La révolution que décrit Olivier Kemeid est intéressante, mais manque de réalisme. Quiconque l’a vraiment vécue en viendrait à la même conclusion: Furieux et désespérés est une fausse révolution.

la pièce Furieux et désespérés est présentée dans la salle principale du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 16 mars 2013. Son auteur, Olivier Kemeid, est en lice pour le Prix Auteur dramatique BMO Groupe financier 2013.

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