ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Philippe Latour
Le défi était grand et audacieux pour le metteur en scène Claude Poissant: monter une pièce sans dialogue, aux répliques livrées presque de façon stoïque – imperturbable dans le ton, certainement, mais pas insensible dans l’expression du regard des comédiens –, à tour de rôle, sans réelle interaction, en réussissant tout de même à conserver une théâtralité et, surtout, l’intérêt du public.
Pourtant, il y a, d’une part, le sujet, cette jeune femme victime d’une agression sexuelle que l’on suit dans tout ce qui s’ensuivra, qui est si actuel et grave qu’il impose nécessairement une écoute attentive et respectueuse. Il y a, aussi, la force du texte de Rachel Graton, qui ne pouvait qu’assurer la réussite du défi pour le metteur en scène.
Malgré le sujet, le rythme avec lequel les répliques s’enchaînent et coulent de façon fluide fait en sorte qu’on ne ressent aucune lourdeur. Celles-ci sont d’ailleurs si habilement découpées et distribuées de façon si efficace entre les comédiens que chaque intervention a son importance et son impact sur le spectateur, que le comédien n’énonce qu’un seul mot ou qu’il décrive l’entièreté d’une situation. On a l’impression qu’aucun mot n’est de trop dans ce texte brillant où se confrontent les rumeurs, les lieux communs et les qu’en-dira-t-on.
Tous les plus gros clichés et stéréotypes, les plus grands amalgames et jugements sont évacués dès les premières minutes. On en entend tant qu’on se surprend presque à avoir hâte de connaître la vraie histoire pour les faire taire, tous. Pourtant, on ne la saura jamais véritablement même si au fond, on la connaît probablement tous. C’est chaque fois différent et pourtant si semblable.
D’ailleurs, on apprécie l’empathie et la délicatesse dont font preuve les policiers et l’équipe médicale imaginés par Rachel Graton, qui s’occupent de la jeune femme tantôt pour tenter de trouver le malfaiteur, tantôt pour les différents tests et séances de thérapie dont elle a besoin pour tenter de comprendre, de se souvenir, de continuer, d’avancer.
Pour décrire cette histoire poignante et sentie, nul besoin de décor élaboré ni de costumes ou accessoires évocateurs: le texte est si fort et il décrit si bien que déjà, il montre tout à voir. Aucune redite, donc, entre le contenu et la forme; les mots sélectionnés par l’auteure sont assez puissants en soi.
On est plutôt dans la retenue; tout est bien dosé dans ce spectacle: malgré la lourdeur de certains passages plus poignants que d’autres, l’auteure a réussi à trouver un bel équilibre et à néanmoins faire ressortir le comique – ou l’absurdité – de certaines situations, relevant quelque peu la tension et permettant au spectateur de souffler un peu.
Ce qui ressort visuellement, ce sont plutôt ces éclairages précis placés de façon judicieuse, qui forcent les comédiens à savoir trouver leur lumière – ou même leur pénombre, par moments – et qui contribuent joliment à l’ambiance instaurée par le jeu des comédiens et, bien sûr, par le texte. La tout aussi habile conception sonore, quant à elle, est toujours assez subtile pour ne rien souligner à gros traits, mais est juste assez présente pour marquer son point.
Un an après #moiaussi
L’air stoïque des comédiens se prête bien au drame qu’on nous présente sur scène, mais on apprécie tout de même l’écart soudain d’Alexis Lefebvre, dans un tableau s’attardant aux représentations cinématographiques de telles agressions. L’envolée du comédien, qui s’enflamme en décrivant une scène de femme pleurant sur son sort à la suite d’une agression – un cliché gros comme le bras –, a de quoi réveiller le public, tant en raison de sa livraison vivante qui détonne, que de l’absurdité de la scène. On comprend, à voir Johanne Haberlin, Louise Cardinal et Geneviève Boivin-Roussy restées derrière lui, l’air grave et sans réaction, que le drame, le vrai, ne se manifeste pas toujours par l’explosion externe; il peut être sournois, comme un coup de poing dans l’estomac qui te paralyse.
Mieux encore, Alexis Lefebvre a beau jouer gros dans cette scène et adopter sans contredit un style de jeu comique, avec toute la mécanique faciale et d’intonations que ça comporte, il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui, on n’arrive pas tout à fait à rire de la façon dont il ridiculise la peine et la douleur des femmes qui ont été victimes d’une agression, même s’il s’attaque plutôt à la façon dont elles sont dépeintes dans les films.
On dirait que ça ne passe tout simplement plus, ce qui, finalement, renforce davantage encore le pouvoir de ce personnage et l’impact de ce qu’il représente; de ce que l’auteure souhaitait mettre de l’avant en le plaçant là, finalement, parmi ces femmes à l’air sobre, stoïques, muettes et affligées.
On ressort de cette pièce bien secoué, certains prenant le temps de décanter avant de sortir de la salle, d’autres voulant sortir au plus vite pour prendre de l’air. Deux choses sont certaines: cette pièce met en lumière une grande dose d’empathie, et personne ne peut y rester indifférent.
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Par Philippe Latour
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