ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Victor Diaz Lamich
Alexia Bürger a su capter et respecter la volonté de Tennessee Williams de s’éloigner du réalisme, et cela se ressent dès la levée du rideau: on aperçoit une scène à peu près vide, parée de plusieurs couches de rideaux divisant les différentes pièces de l’appartement au fond duquel repose, devant une fenêtre menant à une sortie de secours, une machine à écrire.
Si le récit de Tom prend place dans le sud des États-Unis lors de la Grande Dépression, l’action de La ménagerie de verre, elle, se campe dans la temporalité du souvenir. Pour Tennessee Williams, on se souvient d’abord avec le cœur: les endroits et le temps ont peu d’importance; seules les émotions sont magnifiées.
Ainsi, dans la scénographie de Patrice Charbonneau-Brunelle, le divan se déplace seul de part et d’autre de la scène, les objets apparaissent magiquement lorsqu’on a besoin d’eux, et la lumière tamisée du jour et de la nuit prend des teintes oniriques.
La complexité de chaque personnage est très bien rendue: l’Amanda de Marie-Hélène Thibault inspire à la fois la tendresse, le respect, la pitié et la réprobation. Le jeu de Fabrice Yvanoff Sénat se pare des nuances nécessaires pour montrer la dualité habitant Tom, qui tente d’être impitoyable afin d’arriver à s’émanciper, mais qui penche sans cesse vers l’amour qu’il porte à sa famille. Elisabeth Smith interprète une Laura aussi fragile que le verre de sa collection, à qui on aurait envie de tout offrir pour la sortir de sa misère.
Thomas Derasp-Verge, quant à lui, joue un Jim si émanant de bonté sincère qu’il est impossible de lui reprocher le cœur brisé de Laura.
Le travail de Fanny Britt, à la traduction, parvient à enlever une judicieuse dose de poussière afin de rendre le texte encore plus intemporel qu’il ne l’était déjà. Les dialogues demeurent ancrés dans le siècle dernier, mais certaines références qui n’ajoutaient rien à l’histoire ont été retirées, tels que des mots offensants et des références à la religion, laquelle n’ayant peu, voire aucun poids, dans le destin des protagonistes.
Cependant, le niveau de langue change sans cesse : il est difficile de comprendre que les acteurs s’expriment un français québécois moderne alors que les personnages qu’ils interprètent sont des Américains d’un autre temps. Les libertés prisent par rapport au texte vont parfois trop loin, et certains passages essentiels pour comprendre le contexte de pauvreté de la famille Wingfield, en lien avec la situation économique du pays et l’abandon d’un père alcoolique, sont coupés.
Le côté tragique de l’œuvre semble se perdre au profit du rire et du divertissement. Marie-Hélène Thibault est naturelle dans son rôle de mère aimante, maladroite et excentrique, mais cette excentricité paraît un peu trop ridicule à travers le ton rieur et le sourire complice de l’actrice. On en oublie qu’elle est censée être également cruelle et atteinte d’une douce folie qui mène sa famille à sa perte.
Tom, qui nous présente et explique l’histoire à travers plusieurs monologues, s’accompagne d’un sourire et une gestuelle suggérant qu’il trouve le tout plus amusant qu’il ne le devrait.
Car la véritable histoire de Rose, la sœur de Tennessee Williams, et de sa mère, Edwina, n’a rien de comique: Rose aurait pu, comme son frère, devenir une artiste, mais on interprète son caractère comme celui d’une schizophrène et Edwina décide de la faire lobotomiser après le départ de Thomas – décision que ce dernier regrettera pour le reste de ses jours.
Dans La ménagerie de verre, l’auteur fait allusion avec délicatesse à la maladie de Rose en n’attribuant à Laura qu’un léger handicap à la jambe. Toutefois, s’il y a bien un adoucissement de la dureté de sa véritable jeunesse grâce à l’humour, la pièce n’en devient pas drôle pour autant.
Lorsque Jim, le collègue et ancien ami du lycée que Tom présente à sa sœur dans l’espoir qu’une union naisse de cette rencontre, entre en scène, il est évident qu’il est entièrement transformé par la mémoire de son ami. À l’école, Jim était une star, un élève brillant et populaire. Il se retrouve donc suivi par un projecteur, et ce, même lorsqu’il se retire derrière l’un des nombreux rideaux pour réparer l’éclairage durant une panne d’électricité. Ses cheveux et ses habits sont couleur d’or; même son visage étincelle.
Nul doute qu’il brille tout autant aux yeux de Laura, amoureuse de lui depuis les dernières années de sa scolarité. Cette dernière est aussi vêtue comme dans un rêve: sa robe blanche scintillante et sa peau couverte de brillants argentés la font ressembler davantage à une figurine de verre, figée dans l’instant où sa vie s’est effondrée.
Ce symbolisme est sublimé par la conception sonore de Frannie Holder. Du bruit sonore produit par la licorne de Laura se brisant au sol jusqu’au thème mélancolique accompagnant la boîte où elle enferme sa précieuse ménagerie, en passant par les airs débordants de tristesse que l’on entend tout au long de la pièce; le chagrin et les regrets de Tom, qui n’arrive pas à oublier la sœur brisée qu’il a abandonnée, se ressentent puissamment.
La ménagerie de verre est un drame familial universel traitant de la nécessité de s’émanciper de sa famille, et de la douleur et du déchirement accompagnant ce choix: des thèmes qui ne passeront jamais de mode.
Cet avenir paraît d’autant plus assuré entre les mains d’Alexia Bürger, qui, malgré quelques fausses notes, soigne son adaptation avec une minutie semblable à celle de Laura lorsqu’elle manipule ses figurines adorées.
«La ménagerie de verre» de Tennessee Williams en images
Par Victor Diaz Lamich
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