ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Yves Renaud
Sur une estrade vide d’un blanc immaculé, une sorte de castelet géant, c’est un univers complet qui prend vie.
Habillés sobrement et n’ayant pour accessoire que quelques parapluies et des peaux d’animaux, les dix-neuf interprètes sur scène font voyager le public dans le temps, à travers la vie de Suzanne Meloche.
Catherine De Léan, éloquente, gracieuse, énigmatique, fait le pont entre le public et le chœur de comédiens, partageant au public une narration poétique qui rend bien justice à la plume d’Anaïs Barbeau-Lavalette.
Une vie en mouvement
Si la mise en scène est extrêmement simple, voire un peu trop statique, le travail de la pièce repose entièrement sur les épaules des interprètes qui, eux, sont saisissants.
Le choix de raconter cette histoire – qui a fait écho chez des milliers de lecteurs lors de la parution du roman d’Anaïs Barbeau-Lavalette – à travers un chœur de comédiens est un choix vraiment brillant de la part de la metteure en scène Alexia Bürger.
Les comédiens ne personnifient pas réellement des personnages; ils sont plutôt les porte-voix et s’assurent que cette histoire à la fois tragique et envoûtante traverse les époques.
À travers les chorégraphies des danseurs (David Albert-Toth, Jacques Poulin-Denis et Anne Thériault), l’histoire de Suzanne Meloche, de l’Europe à l’Alabama, en passant par la Gaspésie et l’Ontario, prend vie devant nos yeux ébahis.
La danse était de mise afin d’illustrer sur les planches du TNM l’existence de cette femme toujours en mouvement, toujours en fuite, et constamment en train de couper les ponts avec les personnes importantes de sa vie.
Dès l’enfance, Suzanne est audacieuse, curieuse et surtout frondeuse. Elle n’a pas froid aux yeux et veut mordre dans la vie à pleines dents. Pour elle, rien n’est assez intense, assez fulgurant.
À 18 ans, elle quitte sa ville natale qu’est Ottawa pour venir vivre à Montréal. À son arrivée, elle se lie d’amitié avec l’entourage de Paul-Émile Borduas. Elle deviendra alors très proche de Claude Gauvreau, Marcelle Ferron, Jean-Paul Riopelle, pour ne nommer que ceux-ci, et se mariera avec le peintre Marcel Barbeau.
Après quelques années de mariage et deux enfants, Suzanne décide de tout laisser derrière elle. Elle sera postière en Gaspésie avec son amant londonien, puis se joindra au mouvement de lutte pour les droits civiques dans le sud des États-Unis au cours des années 1960 et y trouvera une amante, et ce, avant d’aller vivre à New York, pour finalement s’établir à Ottawa à la fin de sa vie.
Si Suzanne Meloche, interprétée tour à tour par les comédiennes Justine Grégoire (en alternance avec Agathe Ledoux), Anna Sanchez, Zoé Tremblay-Bianco, Éveline Gélinas, Marie-France Lambert et Louise Laprade en fonction de l’âge du personnage) est la femme qui fuit, la narratrice Catherine De Léan est, elle, la femme qui cherche.
Dès la naissance, elle se promet de «rattraper» un jour cette grand-mère qui lui file entre les doigts. Une question posée par sa petite fille la hantera toujours: «Comment as-tu pu te passer de nous?»
Un Québec en plein changement
L’histoire de Suzanne Meloche, c’est l’histoire d’un Québec qui se bat pour sortir de la Grande Noirceur, d’un Québec qui aspire à retrouver sa liberté. Cette jeune femme assoiffée de création aura brisé les conventions toute sa vie durant, mais à quel prix?
Avec poésie, sensibilité et même parfois un brin d’humour, on revisite l’histoire d’une période à la fois sombre et charnière de notre histoire, en gardant toujours ces questions en tête: «Comprenons-nous les choix de Suzanne Meloche?» «Et lui pardonnons-nous d’avoir choisi sa liberté plutôt que sa famille?»
La pièce «La femme qui fuit» en images
Par Yves Renaud
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