«La clôture de l’amour», mise en scène par Christian Vézina, au Théâtre de Quat’Sous – Bible urbaine

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«La clôture de l’amour», mise en scène par Christian Vézina, au Théâtre de Quat’Sous

«La clôture de l’amour», mise en scène par Christian Vézina, au Théâtre de Quat’Sous

Comme une bête en cage

Publié le 14 novembre 2013 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Yanick Macdonald

La rupture amoureuse est assez brutale en elle-même qu’elle n’a souvent pas besoin d’être justifiée. «Je ne t’aime plus, je m’en vais» ne semblait toutefois pas être une raison assez élaborée pour Stan, le personnage de Christian Bégin dans «La clôture de l’amour», présentée au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 6 décembre. Expliquant avec moult détails et passion ce qu’il n’apprécie plus d’Audrey, incarnée par Maude Guérin, Stan fait tomber une bombe qui fera bien des ravages.

On le sent tout de suite que Stan et Audrey ne partageront pas grand-chose durant cette soirée: on retrouve une chaise et une table sur laquelle est déposé un verre comme seuls éléments du décor, ainsi qu’une petite estrade dans le coin opposé qui elle aussi vient à l’unité. La mise en scène de Christian Vézina se joue d’ailleurs dans ce genre de petits détails, comme dans les respirations, élément essentiel à la pièce, car ils meublent tous les silences, qui n’en sont pas, finalement.

C’est qu’entre Stan et Audrey, rien ne va plus. Du point de vue de l’homme, à tout le moins, qui se sent prisonnier comme dans une toile d’araignée, et qui se met à tout lui déballer son sac: «Il faut dire les vraies choses! Les choses existent parce qu’elles sont dites!» le mèneront à: «Je n’ai plus de désir pour toi Audrey», une phrase lourde qui tombe comme une tonne de briques, ou encore: «Il se peut, Audrey, que je trouve un autre corps que le tien». Entre les reproches concernant l’attitude campée de sa femme ou sa façon de repousser les problèmes, Stan critique aussi de façon détournée l’amour en général, cette secte dont il faut que les gens sortent, cette fabrication à l’obsolescence programmée qu’on jette pour créer du roulement.

Dans une grande tirade d’au moins une heure, Christian Bégin défile son texte avec une aisance et une passion peu communes, qui le rendent d’ailleurs très mouvementé, ratissant tous les coins de la scène et faisant aller ses bras dans les airs avec tant de vigueur que même la plus gestuelle des personnes aurait de la difficulté à le suivre. À l’opposé, Maude Guérin est un monument bien ancré, presque immobile, mais bien présente. Faisant preuve d’une écoute remarquable, ce sont dans ses regards, ses mouvements des lèvres, ses mains crispées, sa respiration saccadée ou de désespoir, ou même les larmes coulant sur ses joues, que le spectateur comprend parfaitement l’évolution de l’état d’esprit du personnage.

Délaissant son discours haineux pour parler à sa femme de l’amour qui dure jusqu’à la mort, le personnage de Christian Bégin est soudainement si doux qu’il fait trembler d’émotion la mâchoire de sa collègue, donnant une scène poignante qui mènera la bouleversante Guérin aux larmes, après que Stan eut coupé court à toutes ces folies en claquant dans ses mains, déclarant que «la vie ce n’est pas ça!». C’est une autre montée d’émotions, avec les lumières tournées au rouge et la musique subtile offrant des sons semblables à des bombes qui tombent, qui révélera cette fois-ci un Christian Bégin dans toute sa splendeur lors d’un délire qui le fera crier à tue-tête avec intensité.

Surprise: après plus d’une heure de tirade de la part de Bégin, Maude Guérin a mis son pied par terre et a verbalisé ses émotions elle aussi. «Ça ne sera pas unilatéral, c’est pas vrai!», s’est-elle exprimée, entrant dans un monologue aussi long que celui de son collègue, durant lequel elle a répondu par la bouche de ses canons à chacun des arguments, reproches et réflexions de Stan. La pièce étant construite comme un miroir, c’est en effet une symétrie parfaite qui caractérise la performance des deux acteurs, Bégin reprenant les mêmes poses et réagissant de façon semblable à Guérin, sans mot à son tour, mais avec des respirations et des regards qui en disaient long.

Le soliloque de Guérin s’est toutefois avéré moins intéressant que celui de Bégin, puisque la fougue du personnage est plus contenue et plus statique. Tout aussi intense dans son interprétation, grâce à des regards et des tons lourds de sens, Guérin a toutefois hérité d’une partie de texte qui renvoyait des échos à la première partie, ce qui a créé son lot de longueurs.

Si le personnage du metteur en scène Stan est un grand intellectuel, le texte du Français Pascal Rambert témoigne en soi d’une grande intelligence et apporte également beaucoup de références à la langue française et à ses expressions. C’est d’ailleurs l’emploi de «faire fi» par Stan qui fera éclater de rire Audrey, la première réaction audible du personnage de Maude Guérin. Mais l’avalanche de reproches, de réflexions et d’analyses de l’amour, débitée de façon assez rapide, est telle qu’il est parfois difficile de capter toutes les subtilités du texte.

Malgré tout, l’approche très physique de Christian Bégin et le travail d’interprétation d’une intensité contenue de Maude Guérin ont donné des performances d’acteurs remarquables. Aussi, une jolie mise en abîme du théâtre dans le théâtre – «Si il y avait des gens qui étaient là, qui nous écoutaient…» est d’ailleurs une réplique qui a ponctué le spectacle -, «La clôture de l’amour» porte à la réflexion tout en ravissant les fanatiques des performances scéniques.

Aime-t-on seulement l’idée de l’amour? Qui est-ce qu’on aime quand on aime? Si la pièce n’apporte pas les réponses à ces interrogations posées, elle nous donne tout de même plusieurs raisons d’aimer Maude Guérin et Christian Bégin.

La pièce de théâtre «La clôture de l’amour», écrite par Pascal Rambert, mise en scène par Christian Vézina et mettant en vedette Christian Bégin et Maude Guérin, est présentée au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 6 décembre 2013. Billets en vente au www.quatsous.com.

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