«L’Ouest solitaire» de Martin McDonagh dans la salle intime du Théâtre Prospero – Bible urbaine

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«L’Ouest solitaire» de Martin McDonagh dans la salle intime du Théâtre Prospero

«L’Ouest solitaire» de Martin McDonagh dans la salle intime du Théâtre Prospero

Pari risqué

Publié le 18 septembre 2013 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Andrée-Anne Brunet

C’est une bien minuscule scène que celle du sous-sol du Théâtre Prospero où est présentée la pièce L'Ouest Solitaire. Pourtant, lorsque Lucien Bergeron, Marc-André Thibault, Frédéric-Antoine Guimond et Marie-Ève Milot y mettent les pieds, tout devient grand: la solitude, la haine, la mélancolie mais aussi l’espoir et le pardon. C’est pourtant un pari risqué que de jouer aussi gros, quand on n’a le loisir d’aller qu’à deux endroits différents.

Deux lieux représentés sur et devant la scène de la salle intime du théâtre Prospero, mais aussi deux endroits où terminer sa course: le paradis ou l’enfer. Presque comme une satire de la religion, où les personnages les plus malpropres, grossiers et cruels espèrent gagner leur ciel et éviter l’enfer, notamment en collectionnant les figurines à l’effigie de Saints, L’Ouest Solitaire aborde de façon assez crue le thème de la religion. D’abord, à travers son personnage de prêtre (Guimond), qui est pourtant alcoolique, qui emploie des mots sacrés de l’église à mauvais escient et qui traite les joueuses de soccer de moins de douze ans qu’il entraîne de «petites connes», Martin McDonagh, auteur de la pièce, illustre parfaitement sa vision de la religion et de l’importance (ou non-importance) de celle-ci dans nos vies.

C’est ce même prêtre, le père Welsh, qui se fera débaptiser tout au long de la pièce: Walsh, Wulsh, Wilsh, comme pour dire qu’on s’en fiche un peu, qu’il n’a pas d’importance, ce prêtre. Tellement pas, que ça ne vaut même pas la peine d’apprendre son nom. «C’est juste que Walsh c’est tellement proche de Welsh!» de s’écrier Girleen (Milot) en se justifiant. De toute façon, le langage utilisé dans la pièce, qui reflète à coup sûr le milieu social dans lequel baignent les frères Coleman (Bergeron) et Valene (Thibault), ne fait aucun doute quant au caractère non sacré de l’église et de la religion pour McDonagh. Plus que des patois, presque comme de la ponctuation à leurs phrases, les quatre protagonistes de L’Ouest Solitaire jurent énormément, tellement que ça pourrait gêner les oreilles sensibles. Sans compter les répliques telles que «Qu’est-ce que t’en penses? – J’pense que tu peux aller t’faire sucer la graine», qui sont monnaie courante entre les deux frères qui n’ont pas appris à s’aimer et qui pourraient, pour certains, faire preuve d’une grande vulgarité, alors que pour d’autres, c’est simplement un langage cru et vrai, typique de l’humour noir et caractéristique de l’auteur irlandais.

Mais le texte de Martin McDonagh, traduit et adapté par Fanny Britt, renferme également quelques petits bijoux, tantôt amusants, tantôt portant sur la réflexion. «S’il y a déjà tellement de haine dans le monde, personne va chialer si j’en rajoute un peu!», se défend Valene, alors qu’on lui reproche d’être violent, pendant que son interprète, Marc-André Thibault, se promène d’un côté et de l’autre de la petite scène, s’asseyant, se relevant pour prendre sa figurine, se rasseyant avec elle, avant de se relever pour la replacer, presque avec trop de vigueur, alors que Lucien Bergeron, lui, est plutôt statique à ses côtés. Quant au Père Welsh, extrêmement troublé par le suicide d’un de ses paroissiens, il pose l’inévitable question que le suicide fait jaillir dans les esprits: «Est-ce que ça prend du courage ou de la stupidité pour faire ça, tu penses?». Parce que pour lui, «toutes les vies ont leur beau côté, même si c’est juste voyager ou regarder le soccer à la TV!».

Même si la petitesse de la scène fait parfois peur, surtout lorsque les deux frères se battent et que la tête des acteurs passe à ce qui semble être un cheveu des parois rocheuses entourant la scène, elle donne lieu à des performances imposantes, notamment celles de Bergeron et Thibault pendant leurs échanges virulents, le Père Welsh et l’attendrissante Girleen pendant une rencontre intime, ou Frédéric-Antoine Guimond pendant un touchant monologue qui adresse ses vœux pour le futur de ses deux paroissiens perdus. Les quatre comédiens du Théâtre Bistouri ont su prendre toute la place et la magnifier comme ils l’ont fait avec les mots d’une simplicité efficace de McDonagh.

C’est d’ailleurs dans une sublime scène à la tension dramatique de plus en plus grande que L’Ouest Solitaire se termine, amenant le jeu à un tout autre niveau. C’est maintenant à qui, entre Coleman et Valene, confessera la plus grande bêtise. Désirant tout s’avouer pour pouvoir se pardonner et ainsi arrêter de se chamailler en tout temps comme l’aurait souhaité le Père Welsh, les frères vont tout confesser. Mais ils se rendront compte qu’ils en ont beaucoup à faire, des confessions et, au final, ça n’arrangera pas forcément les choses…

Dans une mise en scène de Sébastien Gauthier, la pièce L’Ouest Solitaire, de Martin McDonagh, sera présentée dans la salle intime du Théâtre Prospero jusqu’au 5 octobre 2013.

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