«L’histoire révélée du Canada français, 1608-1998» d’Alexis Martin à L'Espace Libre – Bible urbaine

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«L’histoire révélée du Canada français, 1608-1998» d’Alexis Martin à L’Espace Libre

«L’histoire révélée du Canada français, 1608-1998» d’Alexis Martin à L’Espace Libre

Un buffet à volonté qui sature les papilles

Publié le 26 mai 2014 par Isabelle Léger

Crédit photo : Gilbert Duclos et Michel Ostaszewski

Alexis Martin, tout comme le Nouveau Théâtre Expérimental, est une drôle de bibitte. On pourrait même dire un phénomène. L’entendre parler, c’est souvent recevoir un torrent de mots et d’information rapidement, en être détrempé et en rester un peu perplexe. Choisir de l’écouter, c’est souvent constater la profondeur de sa propre ignorance. Ce qui le rend si singulier, c’est que, comme il est artiste et non professeur d’université, il nous livre son savoir et ses réflexions dans une forme beaucoup plus ludique (voire bouffonne) que doctorale.

Mais c’est une médaille à deux revers, évidemment. Les cinq heures de spectacle que constituent les trois volets réunis de L’histoire révélée… nous transportent et nous chahutent d’une époque et d’un contexte à l’autre, et ce, à un rythme effréné et dans le désordre chronologique. La mise en scène fluide et dynamique de Daniel Brière et le jeu précis des dix acteurs au tonus exemplaire soulèvent le public ahuri devant tant de prouesses, de chants et d’énergie comique. Mais c’est peut-être au détriment d’une absorption raisonnée et durable du propos pour le spectateur.

Pour résumer, l’entreprise du NTE est de nous faire connaître, voire de nous «révéler» un florilège de faits historiques, réinterprétés ou fictifs. Au fil de nombreuses vignettes ayant peu de lien entre elles, les spectateurs sont amenés à tisser la toile d’une histoire méconnue, «refoulée» aux dires de Martin, dont la part la plus importante est celle des relations entre colons et autochtones.

Champlain cherchant la solution au scorbut, Joliette et Marquette fumant le calumet de la paix au bord du Mississippi, Brébeuf et les saints martyrs canadiens mourant de faim avant d’être exécutés, Frontenac interprétant le common law pour les Iroquois qu’il tente d’amadouer, Cadillac ayant des idées d’expansion… Toutes ces capsules tour à tour loufoques et fascinantes sont entrecoupées de scènes ancrées dans une époque plus contemporaine (la crise d’Octobre, la Tempête du siècle, la crise du verglas, etc.). Pour le Québécois moyen, tout sensible à la richesse intellectuelle qu’il soit, cette surabondance se rapproche de l’excès.

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Entremêlant poésie et comédie, le premier volet (L’invention du chauffage central en Nouvelle-France) semble encore le plus abouti et, surtout, le plus parlant des trois. Est-ce la douceur de la neige qui tombe, récurrente, et des voix féminines en harmonie qui lui confère cet équilibre? Toujours est-il que, dans ce feu roulant de personnages campés, taillés, moqués, arrive soudain un moment de grâce, une scène à deux figures plus vraies que nature. Un dialogue entre Miron, le poète professeur qui reste optimiste malgré tout, et Lebeau, l’acteur en devenir déjà pétri de doutes. On voudrait retenir cette densité pourtant limpide, cette vérité signifiante, mais la machine repart.

Ensuite, dans la deuxième partie où une réflexion sur l’antagonisme entre technologie de pointe et conscience éthique est supplantée par une esthétique de variété et de comédie musicale, on attend en vain une scène pivot du même type. La troisième et nouvelle partie, intitulée Le pain et le vin, livre comme les deux autres volets des numéros extraordinaires de virtuosité et de génie comique. L’arrimage entre légèreté du ton et profondeur du discours se ferait plus aisément si on percevait une réelle conclusion à l’ensemble dans ce dernier segment.

Si certains personnages historiques ne sont pas confiés aux mêmes acteurs d’un volet à l’autre, est-ce une représentation de la confusion qui règne dans nos esprits? Si la métaphore porteuse du monstre serpent, filée entre la première et la deuxième partie, ne se boucle pas en troisième partie, est-ce parce qu’on a y vu du symbolisme à tort? En somme, au-delà d’un texte riche et d’une performance époustouflante, cette production nous laisse sur notre faim quant à notre rapport individuel et collectif à l’histoire et à la culture canadiennes françaises. La finalité demeure obscure et on a un peu l’impression que le spectacle n’a pas été conçu comme un tout.

«L’histoire révélée du Canada français, 1608-1998», présentée par le Nouveau Théâtre expérimental à l’Espace Libre jusqu’au 1er juin.

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