«L’école des femmes» d'Yves Desgagnés au TNM: un grand classique impérissable – Bible urbaine

ThéâtreCritiques de théâtre

«L’école des femmes» d’Yves Desgagnés au TNM: un grand classique impérissable

«L’école des femmes» d’Yves Desgagnés au TNM: un grand classique impérissable

Publié le 10 octobre 2011 par Éric Dumais

Cette année, le Théâtre du Nouveau Monde a célébré son 60e anniversaire. Le premier lever de rideau, en 1959, avait laissé place à L’Avare de Molière, grand dramaturge français qui a grandement marqué la maison, depuis, par son génie, son intensité et son humour brillant. Afin de célébrer l’évènement en grand, l’équipe du TNM a décidé cette année de renouer avec ses premiers amours et de présenter L’École des femmes, une pièce signée Yves Desgagnés, et ce, du 4 au 29 octobre 2011.

Une comédie en cinq actes

Arnolphe, aussi appelé M. de La Souche, est un homme d’âge mûr qui aimerait, un jour, jouir du grand bonheur de la vie conjugale. Homme jaloux, dont la bourse pèse plus lourd que le cœur, Arnolphe fait tout en son pouvoir pour épouser sa jeune pupille Agnès, qui a reçu, dès l’âge de 4 ans, une éducation stricte au couvent. Recluse et ignorante des bonnes mœurs, la jeune Agnès, qui croit toujours que l’amour se fait par les oreilles, avale avec une naïveté absolue tout ce que Arnolphe lui dicte sur la vie. Malheureusement pour le jaloux, Horace, fils de son ami Oronte, cogne un jour à sa porte et lui avoue sans détour son amour pour la belle Agnès. Subjugué par sa beauté et son désir, le jeune Horace, fort beau gaillard d’ailleurs, devient malgré lui le pire ennemi de son tuteur, lequel se retrouve piégé dans ses propres manigances. Arnolphe va devoir forcer les choses s’il veut garder pour lui seul la gentille Agnès, laquelle est tombée, depuis, sous les charmes dévorants du jeune Horace. La peur d’Arnolphe d’être trompé par une femme sera-t-elle aussi grande que celle de la perdre à tout jamais?

Molière racontait, il y a 350 ans

C’est le 26 décembre 1662, au Théâtre du Palais-Royal, que Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, a présenté devant le public la pièce L’École des femmes, dans laquelle il a interprété le rôle d’Arnolphe.

350 ans plus tard, c’est le metteur en scène Yves Desgagnés, lequel est surtout associé à Shakespeare, qui a pris les rênes de cette nouvelle adaptation du grand Molière. « À la première lecture, on a l’impression d’une charge contre les femmes, mais rapidement, on réalise que la pièce traite plutôt de la cupidité masculine et de son esprit de possession sur les femmes. Au fond, c’est le procès des hommes », affirme Yves Desgagnés, dans une entrevue accordée au Voir vendredi dernier.

C’est bien vrai, puisque sous les apparences, Arnolphe est l’exemple parfait de l’homme moderne jaloux et possessif qui ne désire aucunement la femme pour son attrait, sa beauté intérieure ou son intelligence, mais au contraire pour le plaisir de la posséder pleinement. Et cette peur d’avoir conquis la femme de sa vie et de la perdre aussitôt suite à une quelconque tromperie, n’est-ce pas justement la peur injustifiée d’un esprit tordu et malade? Sans vouloir faire le procès d’un personnage aussi complexe qu’Arnolphe, il est par contre de mise d’y établir un léger comparatif avec l’esprit masculin des temps modernes.

Guy Nadon au sommet de son art

Après avoir assisté à la représentation de L’École des femmes, il est pratiquement impossible de rester de marbre devant la performance grandiloquente et époustouflante de Guy Nadon (Vice caché, Grande Ourse). D’abord, l’acteur québécois de 59 ans nous a démontré, grâce à la qualité de sa diction et de son franc-parler, qu’il n’y avait pas d’âge et qu’il ne fallait pas nécessairement s’appeler Molière pour interpréter un rôle aussi complexe que celui d’Arnolphe.

Il faut se rappeler que « Molière joue autant sur les rimes intérieures de ses vers que sur les finales qu’on entend; les vers sont truffés d’assonances, de répétitions de consonnes et de voyelles qui accentuent, qui martèlent presque parfois le sens de la phrase. C’est souvent difficile à se mettre en bouche, oui, mais c’est toujours très efficace », avoue Guy Nadon, dans une entrevue accordée au Devoir. L’acteur a en effet commencé les répétitions en mars dernier et il a même répété certains passages jusqu’à une centaine de fois afin d’insérer justement le ton de voix idéal, et ce, selon l’intensité de la réplique.

Véritable tour de force, certes, mais que dire du reste de la distribution? Jean-Philippe Baril Guérard, Henri Chassé, Pierre Collin, Louison Danis, Sophie Desmarais, Mathieu Handfield, Miro Lacasse et Raymond Legault, aussi nombreux soient-ils, ont tous offert une performance de mille feux alimentée par la profondeur et la grande poésie des textes du grand dramaturge. Chaque réplique était bien envoyée, fort à-propos, et si Molière avait pu, hier soir, assisté à la représentation, il est fort à parier qu’il en aurait eu les larmes aux yeux. Le Théâtre du Nouveau Monde, en confiant l’heureux défi à Yves Desgagnés, a misé juste en donnant carte blanche au grand metteur en scène. Ce dernier a réussi, dans un élan d’ingéniosité, à redonner vie à un texte qui, semble-t-il, ne sombrera jamais dans l’oubli. Est-ce un tour de force de la part de Molière ou d’Yves Desgagnés?

Une mise en scène épurée et originale

Si la qualité première d’une comédie classique de cet envergure est définitivement la douce poésie qui auréole la plupart des répliques, force est d’admettre que la justesse d’une mise en scène comme celle-ci y est pour beaucoup. Yves Desgagnés, pour son adaptation de L’École des femmes, a opté pour un décor épuré, dépouillé de fioriture et d’éléments superflus, avec pour seul accessoire une façade de bâtiment, laquelle est pourvue d’une simple porte en son centre. Sinon, à certains moments de la pièce, de grands cartons superposés descendaient des airs et créaient, l’espace d’un instant, un charmant paysage improvisé, lequel était simplement dessiné au crayon en plomb.

Une musique d’ambiance accompagnait à merveille les moments dramatiques de la pièce, mais c’était surtout le charmant répertoire classique qui prodiguait le ton à l’histoire. Si l’on retient davantage la performance électrisante des acteurs, plusieurs autres éléments nous restent aussi en tête. D’abord, l’un des clins d’œil les plus marquants est celui où Horace, dans un élan d’amour incontrôlé, saute dans les airs et décroche une lune en carton, qui avait été justement posée là quelques instants plus tôt. L’acte est beau, et l’image, délectable. Sinon, les moments où Arnolphe déclame sa poésie, couché par terre, la tête entre les rideaux, ou lorsque Horace lance une échelle sur la tête d’Arnolphe, sont de beaux moments fort originaux et totalement nouveaux.

Il n’y a pas de grands bémols à prononcer devant une pièce aussi savamment adaptée, mais décidément, 2 heures et 35 minutes, c’est long, et ce, même si les performances des acteurs sont carrément époustouflantes. Et les répliques, aussi bien écrites soient-elles, peuvent parfois alourdir les membres engourdis de certains spectateurs qui ne sont pas habitués à la lecture d’alexandrins.

En somme, L’École des femmes est un grand classique du répertoire français à se mettre en bouche avant qu’il ne soit trop tard. Pour les intéressés, vous avez jusqu’au 29 octobre pour voir de vos propres yeux Guy Nadon dans l’un des rôles les plus imposants de sa carrière.

Appréciation générale: *** 1/2

Crédit photo: Jean-François Gratton

Écrit par: Éric Dumais

Vos commentaires

Revenir au début