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Crédit photo : Yves Renaud
«Toute personne bien portante est un malade qui s’ignore» – Dr. Knock
Dr. Knock, interprété avec justesse par Alexis Martin, hérite de la pratique médicale du Dr. Parpalaid (le sympathique Pierre Lebeau) pour une somme rondelette, à Saint-Maurice, un petit village de France. Une fois sur place, il s’aperçoit que la clientèle est quasi inexistante, et que le Dr. Parpalaid a fait carrière en renvoyant les gens chez eux sans leur prescrire de traitement. «Abomination!», s’écrit Dr. Knock, qui pense soigner tous les gens de Saint-Maurice en bonne santé en leur inventant un tas de maladies et de traitements. Car pour lui, «toute personne bien portante est un malade qui s’ignore».
Pour ce faire, le Dr. Knock recrute l’instructeur de la ville, M. Bernard, incarné par l’actrice Marie-Thérèse Fortin (sublime, comme toujours), pour «éduquer» la populace sur tous les microbes qui les attendent à chaque bouffée d’air. Il enrôle aussi le pharmacien, M. Mousquet, interprété par le très comique Didier Lucien, car comme le dit si bien Dr. Knock, «Pour moi, le médecin qui ne peut pas s’appuyer sur un pharmacien de premier ordre est un général qui va à la bataille sans artillerie».
Et le pharmacien n’est que trop heureux de mettre de côté tout scrupule et bon sens pour, lui aussi, faire fortune. Quand, trois mois plus tard, le Dr. Parpalaid vient s’enquérir de la situation , il découvre plus de malades qu’il ne peut en compter… Mais que s’est-il bien passé?
À l’aide d’une ruse et d’un sens des affaires plus qu’admirable, le Dr. Knock s’est créé un véritable empire. Il distribue des prescriptions plus farfelues les unes que les autres. Pour la plupart de ses patients, il conseille de s’enfermer dans leur chambre, sans nourriture solide et sans eau, et si leur état ne s’améliore pas d’ici une semaine, c’est qu’ils doivent subir un traitement, et celui-ci est évidemment très coûteux…
Mais ne vous inquiétez pas! Le Dr. Knock a des forfaits pour tous les portefeuilles! Certains ont le privilège de recevoir une visite quotidienne du bon docteur pour quelques milliers de dollars supplémentaires. Le Dr. Knock offre même des consultations gratuites tous les lundis. Il travaille tous les jours dès l’aube et distribue ses bons soins à travers tout le comté. Pour les habitants de Saint-Maurice, le Dr. Knock est un saint.
L’excellence d’une distribution
Les acteurs sont tous excellents, qu’on pense à Alexis Martin dans la peau de ce machiavélique Dr Knock, ou particulièrement à Marie-Thérèse Fortin, qui incarne l’instructeur, M. Bernard, et Mme Rémy, l’hôtelière. Celle-ci est méconnaissable en homme, et elle réussit avec aise à flouer le public. On en oublie presque qui se cache sous ce costume!
Pour sa part, Didier Lucien, qui incarne le pharmacien, M. Mousquet, et Scipion, une femme travaillant au nouvel hôpital, est celui qui tire le mieux son épingle du jeu dans cet esprit de faire rire le public sans trop d’efforts. Ça lui vient naturellement, et c’est toujours un plaisir de le voir sur scène.
Tous les acteurs se démènent pour infuser un peu de légèreté dans une pièce qui se prend trop au sérieux, et ce, sans grand succès…
L’humour de Jules Romains comme asphyxié
Chaque changement de décor est accompagné de quelques notes d’orgues, et chaque fois, on ne peut s’empêcher de chercher sur scène la présence de Nosferatu. Le décor est dépouillé, sombre, sans couleur ni saveur, comme les costumes d’ailleurs.
Les acteurs sont maquillés à l’instar de vedettes de films muets, avec des sourcils dessinés bien haut, le teint blanc cireux. Par moments, des schémas de corps humains sont même projetés sur les murs, telles des formes psychédéliques. Tous ces éléments contribuent à donner cette drôle d’impression que le Dr. Knock ferait peut-être mieux de plier bagage et de rentrer chez lui.
Le metteur en scène Daniel Brière semble plus intéressé, ici, à se servir de l’œuvre de Jules Romains pour servir ses propres intérêts, plutôt que de rendre justice à celle-ci.
C’est pourquoi, en dépit du talent des acteurs, que le décor austère, la musique baroque, l’éclairage agressant et l’impression d’être dans un film de Murnau asphyxient avec sérieux et décorum tout l’humour de l’œuvre originale. Knock avait beaucoup en commun avec les pièces de Molière, particulièrement Le malade imaginaire, mais la mise en scène de Brière a tôt fait de nous le faire oublier en nous donnant une leçon de morale sur la médicalisation excessive, les salaires exorbitants des médecins, et le complexe de Dieu, dont certains semblent affligés.
Pour couronner le tout, on nous réserve, comme clou du spectacle, une finale mystère durant laquelle on nous bombarde de chiffres et d’informations que l’on entend déjà tous les jours dans les médias. C’est lourd et déplaisant, et on souhaite ardemment que les rideaux se referment sur ce spectacle ennuyant.
En définitive, il est aisé de voir le parallèle entre Knock et les travers du service de santé au Québec. Des médecins de pacotilles qui font pleuvoir les médicaments sur leurs patients, sans vraiment donner un diagnostic précis. C’est tristement commun, hélas.
Même si l’intention du metteur en scène est louable, j’ai quitté le théâtre l’autre soir avec une grosse migraine et un arrière-goût de «remâchage» d’actualités. Très décevant!
Knock ou le Triomphe de la médecine, de Jules Romains, dans une mise en scène de Daniel Brière, met en scène les acteurs Alexis Martin, Marie-Thérèse Fortin, Didier Lucien, Évelyne de la Chenelière, Pierre Lebeau et Sylvie Moreau. Ce spectacle est présenté au Théâtre du Nouveau Monde du 17 septembre au 12 octobre 2019.
«Knock ou le Triomphe de la médecine» en images
Par Yves Renaud
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