ThéâtreCritiques de théâtre
Crédit photo : Stéphane Bourgeois
Je me soulève est un projet résolument original, rompant avec la majeure partie de l’offre théâtrale. Le dernier spectacle de l’année au Trident verse dans le registre de la poésie, relevant davantage du récital que d’une pièce à proprement parler.
D’autres projets ont d’ailleurs fait la part belle à la poésie cet hiver, comme Untouched Land à Premier Acte, ou encore Chansons pour filles et garçons perdus, une «stonerie poétique» présentée à la Place des Arts à Montréal jusqu’au 19 mai prochain. De même, les sœurs Côté avaient signé la mise en scène d’Attentat en 2017 au Périscope, un spectacle puisant également dans le creuset de la poésie.
Les membres de la distribution se révèlent au public d’une manière inusitée. À tour de rôle, ils scandent les textes de nombreux-ses poètes québécois contemporains, et il semble qu’ils atteignent un degré supplémentaire d’authenticité, n’étant plus tout à fait dissimulés derrière un personnage.
Fait surprenant: les sœurs Côté ont eu également l’audace d’introduire des enfants à la scène. Leur présence rafraîchissante inspire l’auditoire quant à la manière dont il convient d’appréhender la poésie – c’est-à-dire librement, avec instinct et curiosité.
Une ode vibrante à la vie
Cette cohorte d’enfants déambule dans les tableaux qui se succèdent au fil de Je me soulève, lesquels constituent autant de portraits croqués dans notre quotidien, avec pour fil conducteur un sentiment d’ardeur, une certaine urgence, de même qu’une part de révolte. L’auditoire assiste ainsi à une mêlée de presse où les journalistes mitraillent de questions la figure du pouvoir: «À quoi obéit-elle?», martèle-t-on, et vers quelles sombres conjonctures le monde se dirige-t-il? «Pendant qu’on retourne la vie contre elle-même, […] à quelles sottises aurons-nous eu à consentir?» Comment pouvons-nous nous arracher à l’immobilisme ambiant?
Dans d’autres cas, les images créées sont franchement signifiantes, porteuses: la poésie atteint, pour ainsi dire, un niveau visuel, par exemple lorsque Leïla Donabelle Kaze traverse la scène debout sur une barque, portée par d’autres membres de la distribution, ou encore ce numéro désopilant où Olivier Normand tente désespérément de démarrer sa journée, portant des gants de boxe, excédé et impotent devant son déjeuner.
Éventuellement, les interprètes se munissent de tentes et de sacs de couchage, revendiquant une sorte de proximité avec la nature, une reconquête du territoire et la protection de celui-ci. «Nous naissons des paysages de la même façon qu’ils naissent de nos imaginations», affirme-t-on à juste titre. Force est d’admettre que les tableaux n’émeuvent pas tous autant, certains d’entre eux frisant le mièvre, par exemple lorsque les spectateurs-rices assistent à une sorte d’envolée d’oiseaux de papier. Or, la plupart du temps, il en émane une grande beauté.
La poésie, en outre, est sonore, le succès de la pièce participant également de la magnifique ambiance créée sous la direction musicale de Mykalle Bielinski.
Il y a de quoi se réjouir de l’ouverture que témoigne le Trident à l’égard de la jeunesse: l’entièreté de la distribution semble se situer dans la fleur de l’âge, et l’on oserait même admettre qu’elle est quelque peu homogène à cet égard, bien que cela ne soit pas forcément le cas des poètes dont les textes ont été sélectionnés. Or, en matière de transmission, de collectivisation, il aurait sans doute été intéressant d’intégrer quelques représentants-es d’autres générations.
Une autre ingéniosité de la mise en scène des sœurs Côté repose sur son aspect participatif, les membres de la distribution mettant la main à la pâte, voire construisant leur propre décor. Ils-elles sont ainsi les artisans-es du monde qu’ils souhaitent voir advenir.
«Je me soulève» au Théâtre du Trident en images
Par Stéphane Bourgeois
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