«Ici», une pièce collective mise en scène par Nancy Bernier au Théâtre La Bordée – Bible urbaine

ThéâtreCritiques de théâtre

«Ici», une pièce collective mise en scène par Nancy Bernier au Théâtre La Bordée

«Ici», une pièce collective mise en scène par Nancy Bernier au Théâtre La Bordée

Raconte-moi qui tu es et je te dirai qui nous sommes

Publié le 30 mai 2018 par Alice Côté Dupuis

Crédit photo : Courtoisie

Ils sont huit, provenant de quatre continents et parlant sept langues différentes, mais au Théâtre La Bordée, les 29 et 30 mai 2018, ils ne formaient qu’un: l’étranger. C’est du moins comme ça qu’on les a abordés il y a dix, quinze ou vingt ans et qu’ils se sentent encore, parfois. Rassemblés par la metteure en scène Nancy Bernier pour, qu’ensemble, ils partagent leur expérience d’immigration et qu’ils témoignent de ce que ça leur fait de vivre ici, au Québec, ces étrangers sont apparus, au terme de ce court spectacle d’une heure, plutôt comme de sympathiques voisins, des connaissances à découvrir plus en profondeur.

«Ici, les gens se disent je t’aime tout le temps. J’aime ma sœur, j’aime mon frère, j’aime ma belle-sœur, j’aime mon beau-frère, j’aime tout le monde! Mais ils se voient trois fois par année. Chez moi, on se chicane, on se crie après, mais on se voit plus souvent et on s’aime sans se le dire», témoigne d’emblée l’une d’entre eux, tandis qu’une autre observe qu’«Ici, les restaurants et les magasins ferment tôt». C’est par cet enchaînement de comparaisons de coutumes, de valeurs, d’habitudes et de réalités entre leur pays d’origine et leur terre d’accueil, projeté sur vidéo, que cette pièce de théâtre collective s’est ouverte, donnant rapidement le ton, entre le témoignage intime, le récit personnel et l’anecdote comique.

Mis en lumière dans une scénographie à l’image de la mise en scène – sobre et simple, mais évocatrice –, Charo Foo (Singapour), Leïla Donnabelle-Kaze (Burundi), Ania Luczak  (Pologne), Michael Maynard (Angleterre), Mélissa Merlo (Belgique), Flavia Nascimento (Brésil), Irène Gonzalez (Chili) et Carmen-Gloria Fortin (Québec, d’origine chilienne) nous ont généreusement ouvert les portes de leur historique personnel. Racontant tout, de la raison et de la façon dont ils sont arrivés au Québec, jusqu’aux moments où ils se sentent le plus étrangers, en passant par les préjugés auxquels ils ont dû faire face, les moments au cours desquels ils s’ennuient de leur pays d’origine, ceux au cours desquels ils se sentent chez eux au Québec, puis leurs meilleurs souvenirs de leur terre natale, ils couvrent devant et pour nous tous les pans de leur immigration.

Ce sont toutefois des témoignages surtout individuels qui nous sont présentés, et on aurait aimé que les huit personnes – qui étaient elles aussi étrangères l’une pour l’autre avant ce projet, et qui ont beaucoup partagé entre eux pour livrer ce spectacle – nous montrent à quel point elles ont créé des liens et qu’elles ont eu du plaisir à constater qu’elles n’étaient plus seules ou isolées, qu’elles étaient huit à partager des sentiments et expériences.

Dans le contexte et le concept, l’idée derrière ce spectacle, il aurait été tout à fait pertinent, en effet, que les récits, les visions, les impressions et expériences de chacun se mélangent et se confrontent, que les huit individus entrent en dialogues entre eux et pas simplement avec le public, afin qu’on sente davantage encore les liens entre ces différentes histoires.

L’utilisation des projections vidéo, de photos d’archives personnelles ou historiques, selon le récit raconté, est quant à elle bien justifiée, et permet d’entrer plus facilement encore dans leurs histoires et de s’attacher à eux, tout en accolant en quelque sorte un sceau de véracité à leurs propos. Toutefois, les numéros de chansons en langue étrangère ou de danse, même s’ils permettent de découvrir davantage encore les différentes cultures représentées par ces personnes et de plonger plus profondément encore dans leur univers, sont plus ou moins bien amenés et s’agencent difficilement dans la proposition. On s’explique plus ou moins bien les moments choisis pour les incorporer, et ils détonnent malheureusement de l’ensemble, malgré leur charme.

Si certaines pointes d’humour bien placées déclenchent des éclats de rire à certains moments, on ne saurait toutefois dire si c’est en raison du choix des mots, de la façon de les présenter ou de l’attachement qu’on porte rapidement aux huit personnes qui se tiennent fièrement devant nous. C’est qu’on embarque pleinement dans leurs récits; on rit et on sourit avec eux, on s’indigne avec eux et, parfois aussi – mais plus rarement, car on évite plutôt la lourdeur –, on s’attriste avec eux. En effet, en dirigeant ses interprètes dans leurs témoignages afin de créer un spectacle, la metteure en scène a évité d’entrer dans les sujets d’accommodements ou d’intégration; c’est donc plutôt dans les souvenirs, la nostalgie, mais aussi la beauté et l’espoir qu’on nous plonge.

Mais à force de les entendre se demander pourquoi personne ne s’assoit à côté d’eux dans l’autobus, révéler qu’un policier leur a déjà dit que, quoiqu’il arrive, les forces de l’ordre prendraient pour les leurs et non pour les immigrants, s’étonner qu’on leur parle encore régulièrement de leurs cheveux, ou tourner au ridicule les divers commentaires qu’ils reçoivent, pleins de préjugés et d’ignorance, doit-on en conclure que le Québec est raciste, qu’il a peur des étrangers et de l’inconnu? Ces personnes venues d’ailleurs tombent-elles dans les jugements… envers ceux qui les jugent? En entendant aussi tout le positif qu’ils ont à dire sur le Québec, malgré tout, et leur attachement manifeste à leur terre d’accueil, à ses gens et à sa poutine, il n’y a finalement pas lieu de se sentir attaqué, mais plutôt de remettre en question ce qui est ancré en nous, bien souvent malgré nous.

Et en les faisant de surcroît réciter «Vis maintenant», un poème de Pablo Neruda à propos de l’importance de sortir de sa routine et de sa zone de confort afin de vivre pleinement, rendant chacun un passage dans sa langue maternelle, Nancy Bernier a définitivement réussit à élargir les questionnements de ces huit individus à toute la salle du Théâtre La Bordée, faisant prendre conscience que c’est en allant à la rencontre de l’autre, en étant curieux et en apprivoisant l’inconnu qu’on reste bien vivant.

«Ici» en photos

Par courtoisie

  • «Ici», une pièce collective mise en scène par Nancy Bernier au Théâtre La Bordée
  • «Ici», une pièce collective mise en scène par Nancy Bernier au Théâtre La Bordée
  • «Ici», une pièce collective mise en scène par Nancy Bernier au Théâtre La Bordée

L'avis


de la rédaction

Nos recommandations :

Vos commentaires

Revenir au début